Des musiciens ennuyeux, une musique passionnante


Gonzales / Stian S. Moller / Imago
Parfois, il a raison : « On sait qu'un nouveau style est arrivé quand les anciens disent que tout sonne pareil. » C'est ainsi qu'on se souvient de la citation de Diedrich Diederichsen. Le théoricien allemand de la pop a par ailleurs mauvaise réputation auprès des journalistes, car il écrit beaucoup et de manière très complexe.
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Mais n'a-t-il pas raison ? Les classiques trouvaient le jazz primitif, les stars du swing trouvaient le bebop trop sauvage, les bluesmen trouvaient le rock primitif, les rockers trouvaient le punk vulgaire, les punkers trouvaient la techno monotone. Les DJ techno avaient le sens de l'humour et qualifiaient parfois même leur nouvelle musique de « Bum Bum ». De son côté, la techno n'est plus vraiment d'actualité ; c'est pour cela qu'elle a sa place au Musée national.
Tu ne vois même pas leurs visagesCe qui nous amène au concert d'ouverture dans l'Aktionshalle (Salle de spectacle) rénovée de la Rote Fabrik, elle aussi vieillie. Le succès de la rénovation est paradoxalement démontré par le fait qu'on ne remarque même pas la salle ; elle est dépouillé, pour ainsi dire, d'une manière protestante ; l'excitation devrait se faire sur scène.
Mais pas avec Leftfield, le duo de musique électronique anglais composé du claviériste et membre fondateur Neil Barnes et d'un batteur électronique, parfois rejoints par un chanteur ou une chanteuse. Le verbe est un choix délibéré, car sans eux, le duo se tient debout ou assis comme deux DJ, presque immobiles.
Cela correspond au genre, car dans la techno, les danseurs sont les stars, c'est-à-dire le public. Il ne se passe pas grand-chose sur scène ; le public ne voit même pas le visage des musiciens ; ils sont dans le noir complet. Le claviériste joue des morceaux invisibles, le batteur tape une mesure continue en 4/4.
C'est sans doute pour cela que des écrans sont suspendus au-dessus des deux hommes, et on réalise rapidement que, même s'ils montrent quelque chose de différent pour chaque chanson, ils jouent la même chose tout au long du morceau. Leftfield orchestre son ennui avec constance. Il est logique que le claviériste dise quelque chose pendant une demi-heure que personne ne comprend. Rarement un groupe a joué avec un tel anonymat.
Monotone, mais palpitantUn concert monotone, du moins visuellement. Acoustiquement, mais vibrant, élégant et captivant. On dirait que les musiciens ont voulu se fondre dans leur propre performance pour rendre la musique plus percutante. Leftfield combine ses rythmes techno et house avec les voix chargées d'écho du dub, du breakbeat et du reggae. Le résultat est une techno sensuelle, la combinaison de deux techniques extatiques. Le succès du duo prouve que c'est possible. Les disques de Leftfield ont atteint les sommets des charts anglais. Leur premier album est sorti il y a plus de 35 ans, et le dernier il y a trois ans.
Quiconque a plus de vingt ans et plus de cinquante ans est considéré comme ringard depuis trente ans, comme le prouve l'âge du public. Malgré tout, l'Aktionshalle est bien remplie et le duo a su préserver l'attrait de sa musique. Malgré des rythmes puissants, elle sonne fluide et mélodique, ce qui la distingue de la techno, généralement organisée de manière fonctionnelle, comme une musique non pas destinée à l'écoute, mais avant tout à la danse.
Combinaison de hâte et de calmeLa performance de Leftfield ouvre non seulement la Rote Fabrik rénovée, mais aussi le Lethargy Festival, témoignant de l'esprit de ses fondateurs. Initialement lancée comme alternative à l'immense Energy Party du Hallenstadion, la Lethargy Party a survécu pendant trois décennies, malgré son nom. La Lethargy, cependant, est le dernier état d'esprit possible associé à cette musique lors de ce magnifique concert, à la fois éveillé et rêveur.
Ce qui distingue Leftfield en tant que musicien et fait de ce concert un moment magnifique, c'est l'alliance de la hâte et du calme, des rythmes rapides et des sonorités flottantes du clavier. Et contrairement à ses performances habituelles, Leftfield doit réduire le volume de son concert à un niveau supportable. C'est ce que souhaite la ville, mais cela s'avère être une contrainte agréable. Car on peut écouter sans souffrir. Et on entend des choses étonnantes, notamment celle-ci : la musique peut être entraînante malgré un rythme aussi monotone.
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