« Plur1bus » sur Apple TV+ : Le bonheur de l'humanité vient de l'espace

Être de mauvaise humeur et agacer les gens par son sarcasme : voilà ce qui caractérise l'écrivaine Carol Sturka. Lorsque le chauffeur qui doit la conduire à l'hôtel Hyatt de Dallas lui demande si elle est une personne à connaître, elle répond : « Vous aimez les trucs futiles ? » Elle vient de terminer la lecture de ce genre de choses, extraites du quatrième tome de son roman d'aventures et de romance « Wycaro ».
Ses fans, majoritairement féminines, ne s'intéressent en réalité qu'au retour du Roméo Roban romain, censé combler l'héroïne de la manière la plus mièvre qui soit. Elle croise d'ailleurs un homme en costume de corsaire improvisé, lors d'une séance d'autographes, qui remarque une erreur : une goélette à deux mâts ne peut pas avoir de mât central, n'est-ce pas ?
Sa compagne Helen suggère à Carol qu'il est temps d'enfin écrire ce premier livre sérieux qui traîne dans un tiroir, espérant lui apporter gloire et succès. Soudain, Helen s'effondre, morte. Les clients du bar bluegrass sont pris de violentes convulsions, comme électrocutés, et quand ils cessent, ils sont tous… différents.
« Pluribus », qui signifie « plusieurs » en latin, est le nom de la nouvelle série de Vince Gilligan, le créateur de « Breaking Bad » et « Better Call Saul ». L'orthographe « Pluribus » souligne le statut de Carol, la seule à rester normale parmi tous ces personnages qui bougent à l'unisson, qui prononcent les mêmes mots en duos ou en chœurs.

« On veut juste t’aider, Carol ! » scandent en chœur, d’une voix à la fois bienveillante et inquiétante, la trentaine de médecins, d’infirmières et de patients de l’hôpital où Carol (Rhea Seehorn, que l’on se souvient avoir vue dans le rôle de Kim Wexler, la collègue et amante de Saul) refuse désormais de quitter le corps d’Helen. Gilligan a laissé entendre qu’il souhaitait renouer avec ses premières amours : la série culte de science-fiction horrifique « X-Files ». Et Apple TV+, qui propose des pépites du genre comme « Foundation », « Severance », « Solo », « See » et « For All Mankind », offre le cadre idéal.
« Une invasion extraterrestre », prédit l'auteure sous le choc après avoir appris de Davis Saffler (Peter Bergman), sous-secrétaire à l'Agriculture à la Maison-Blanche, qu'il ne reste que onze personnes comme elle. Pas à Albuquerque, non, dans le monde entier.
Cela évoque des films d'horreur terrifiants comme « L'Invasion des profanateurs de sépultures » (1956), où des spores venues de l'espace parviennent à se développer en répliques extraterrestres d'êtres humains. Ou encore les enfants du « Village des damnés » (1960), qui, nés de mères terrestres, deviennent une intelligence collective télépathique.
Dans le roman de Richard Matheson « Je suis une légende » (1954), qui a été adapté au cinéma à plusieurs reprises, une épidémie mondiale de vampires amène Robert Neville – le dernier homme non infecté qui souhaite inverser l'infection – à réaliser enfin que quelque chose a changé dans ce nouveau monde : les femmes vampires reculent devant lui – c'est lui le monstre qui doit s'effacer.
Un responsable de la Maison Blanche « inversé » à Carol Sturka
Carol porte elle aussi un lourd fardeau, comme le révèle le slogan américain de Gilligan pour la série. Elle est « la personne la plus malheureuse au monde » et doit désormais sauver ses semblables transformés d'une chose qui, en réalité, la remplit d'optimisme et de bonheur.
« Aucune invasion n'a eu lieu », expliqua l'homme affable à la télévision. « L'humanité a simplement bénéficié d'une technologie extraterrestre. Non pas d'une forme de vie, mais d'un virus, un ADN répliqué sur Terre et transmis à l'homme par la morsure d'un rat de laboratoire. »
Tous les gens ordinaires ne sont pas adeptes de la résistance.« Vous n'êtes pas en danger », leur assure l'homme derrière le bureau de la Maison-Blanche. L'expression « Votre vie vous appartient » sonne plutôt étrange. « Nous allons découvrir pourquoi vous êtes différents », sourit Saffler, « et y remédier. »
Carol sait qu'elle doit résister à ce qui a été détecté 439 jours plus tôt par les radiotélescopes : un signal spatial se répétant toutes les 78 secondes. Cela s'avère difficile car les autres « survivants » aspirent à autre chose. Et aussi parce que son assistante, Zosia (Karolina Wydra), est tout simplement trop merveilleuse.
Une infection de masse qui engendre une forme de conformisme. Nous ne faisons plus qu'un. Il n'est donc pas étonnant que cela n'évoque pas immédiatement les partisans de Trump qui, aux yeux des observateurs extérieurs, semblent atteints d'une sorte de virus qui anéantit toute raison et les empêche de reconnaître la dépravation morale de leurs dirigeants.
Le spectateur trouve le désarmant et sympathique Gutschwarm bien plus attachant – et l'on imagine qu'il serait difficile de résister à son charme permanent. Cependant, la misanthropie de Carol pourrait se révéler une arme redoutable. Le sarcasme et l'ironie sont des notions étrangères à Gutschwarm.
Horreur, science-fiction, humour hilarant, le tout agrémenté d'une histoire à suspense typiquement géillienne, racontée calmement et pleine de rebondissements – dans une réalité où de plus en plus de personnes puissantes pensent savoir ce qu'est le bonheur pour tous –, cette série est non seulement l'une des plus divertissantes de l'année, mais aussi l'une des plus importantes.
« Plur1bus – Le bonheur est contagieux » , première saison, neuf épisodes, par Vince Gilligan, avec Rhea Sheehan, Karolina Wydra, Carlos Manuel Vesgra, Peter Bergman, Samba Schutte, Miriam Shor (disponible à partir du 6 novembre sur Apple TV+)
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