Le vide juridique des migrants bloqués en Tunisie : incapables de traverser la frontière vers l’Italie ou de rentrer chez eux.
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De la fumée s'élève déjà de ce qui reste du camp de fortune. Par endroits, les flammes continuent de lécher les vestiges d'une vie précaire : une cuillère, une bâche en plastique ayant servi de tente, du linge de lit, un paquet de préservatifs… Le 24 avril, la Garde nationale tunisienne a rasé deux camps de migrants à Jbeniana et El Amra (à l'est du pays). Ce jour-là, les médias ont été invités à couvrir l'opération, mais d'autres démantèlements ont eu lieu loin des caméras. Plusieurs milliers de personnes, originaires d'Afrique subsaharienne, ont été déplacées.Séverine SajousBahri Ghali est propriétaire de l'une des deux oliveraies dont les migrants ont été expulsés le 24 avril. « Je vis de ma terre, et depuis deux ans, la situation est devenue intenable. Des groupes de migrants africains se sont installés dans mes champs. Ils ont arraché mes oliviers, détruit mes récoltes et cassé les systèmes d'irrigation. Ils ont même emporté les tuyaux pour construire des abris. Je ne peux plus rien planter ni récolter. Certaines zones de mes terres ont été transformées en terrains de football. Les arbres sont abattus et le matériel disparaît. Parfois, je suis obligée de donner de l'argent à certains groupes de migrants, juste pour qu'ils ne détruisent pas tout. Je donne environ 100 dinars (29 euros) toutes les deux ou trois semaines. Mais si je paie un groupe, un autre arrive. Il n'y a pas de solution durable. Ce n'est pas normal que je doive payer pour accéder à mes propres terres ! » se plaint l'agricultrice.Séverine Sajous La seule issue pour ces migrants est le programme de retour volontaire de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). En 2024, 7 250 personnes en ont bénéficié en Tunisie. Fin avril 2025, 2 553 personnes étaient rentrées dans leur pays d'origine, selon les autorités tunisiennes. « Les migrants subsahariens doivent parfois attendre six à huit mois pour rentrer dans leur pays après s'être enregistrés auprès de l'OIM. Le rythme est très lent. Le gouvernement tunisien déploie d'importants efforts auprès de leurs pays d'origine pour organiser des procédures de retour volontaire avec l'OIM », reconnaît le colonel-major Houssemeddine Jebabli. srcset="https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/WJFHBDAH35HSDBNO4VOZY4JIHQ.jpg?auth=9812c6dabcef7d43006a3cff18db97b036dd172339c10c8ddcb3f6f465fad668&width=414 414w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/WJFHBDAH35HSDBNO4VOZY4JIHQ.jpg?auth=9812c6dabcef7d43006a3cff18db97b036dd172339c10c8ddcb3f6f465fad668&width=828 640w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/WJFHBDAH35HSDBNO4VOZY4JIHQ.jpg?auth=9812c6dabcef7d43006a3cff18db97b036dd172339c10c8ddcb3f6f465fad668&width=980 1000w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/WJFHBDAH35HSDBNO4VOZY4JIHQ.jpg?auth=9812c6dabcef7d43006a3cff18db97b036dd172339c10c8ddcb3f6f465fad668&width=1960 1960w" width="414" sizes="(min-width:1199px) 1155 px, (largeur minimale : 1001 px) calc(100vw - 44 px), (largeur minimale : 768 px) 767 px, 100vw" src="https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/WJFHBDAH35HSDBNO4VOZY4JIHQ.jpg?auth=9812c6dabcef7d43006a3cff18db97b036dd172339c10c8ddcb3f6f465fad668&width=414">Les opérations de démantèlement d'avril dernier ont permis d'expulser plus de 12 000 migrants de divers endroits du gouvernorat de Sfax, selon les autorités tunisiennes, qui affirment agir sur décision de justice suite à des plaintes de propriétaires fonciers. La Tunisie insiste sur le fait qu'elle ne souhaite pas devenir un pays de transit ni une zone d'accueil. Cependant, elle ne propose aucune solution immédiate pour les migrants, dont le nombre se situe entre 20 000 et 30 000, selon les estimations du gouvernement tunisien. Leur seule option est de parcourir quelques mètres avec les effets personnels qu'ils peuvent emporter. La route méditerranéenne vers l'Italie est quasiment fermée. Seuls 1 129 migrants sont arrivés dans le pays entre le 1er janvier et le 29 mai, selon le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés. À la même période en 2023, ils étaient plus de 18 000. Cette même année, la Tunisie et l'Union européenne ont signé un accord de lutte contre l'immigration clandestine, aux termes duquel Bruxelles a promis 255 millions d'euros à ce pays d'Afrique du Nord.
La seule issue pour ces migrants est le programme de retour volontaire de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). En 2024, 7 250 personnes en ont bénéficié en Tunisie. Fin avril 2025, 2 553 personnes étaient rentrées dans leur pays d'origine, selon les autorités tunisiennes. « Les migrants subsahariens doivent parfois attendre six à huit mois pour rentrer dans leur pays après s'être enregistrés auprès de l'OIM. Le rythme est très lent. Le gouvernement tunisien déploie des efforts importants auprès des pays d'origine pour organiser les procédures de retour volontaire avec l'OIM », reconnaît le colonel-major Houssemeddine Jebabli.Séverine SajousDans les camps de migrants encore existants, comme celui-ci situé au kilomètre 25 avant Sfax, l'organisation est quasiment autosuffisante. Le camp dispose d'un terrain de football, de trois mosquées, d'une boutique, d'un café où les téléphones peuvent être rechargés grâce à un générateur, et de deux restaurants communautaires. Toutes ces infrastructures ont été construites avec des bâches en plastique et des tuyaux d'irrigation recyclés. Les résidents se lavent à l'eau d'un puits situé dans le camp voisin.Séverine SajousDes migrants musulmans prient dans un camp.Séverine Sajous Elle a tenté de traverser la mer à quatre reprises. La première fois, son bateau a chaviré et trois de ses amis sont morts. La deuxième fois, elle a été interceptée près de Lampedusa, puis expulsée dans le désert. Elle a failli être agressée sexuellement, mais son compagnon actuel l'a défendue. À la troisième tentative, des pêcheurs ont volé le moteur. La quatrième fois, le 9 avril, son bateau a pris l'eau : « J'ai dû maintenir mon bébé pour qu'il ne se noie pas. »
Il s'est inscrit au programme de retour volontaire, mais l'OIM lui a dit qu'il n'y avait plus de place. « Nous avons trop souffert ici », dit-il. « Il veut juste retourner en Guinée et travailler. » srcset="https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/EVYSLTO37RDILPHXOW4UEFERZ4.jpg?auth=02411c0c9025553b0c90e5a940ef4b18d075d9ddaf732730d4dd3680e2103ca8&width=414 414w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/EVYSLTO37RDILPHXOW4UEFERZ4.jpg?auth=02411c0c9025553b0c90e5a940ef4b18d075d9ddaf732730d4dd3680e2103ca8&width=828 640w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/EVYSLTO37RDILPHXOW4UEFERZ4.jpg?auth=02411c0c9025553b0c90e5a940ef4b18d075d9ddaf732730d4dd3680e2103ca8&width=980 1000w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/EVYSLTO37RDILPHXOW4UEFERZ4.jpg?auth=02411c0c9025553b0c90e5a940ef4b18d075d9ddaf732730d4dd3680e2103ca8&width=1960 1960w" width="414" tailles="(min-width:1199px) 1155px,(min-width:1001px) calc(100vw - 44px),(min-width:768px) 767px, 100vw" src="https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/EVYSLTO37RDILPHXOW4UEFERZ4.jpg?auth=02411c0c9025553b0c90e5a940ef4b18d075d9ddaf732730d4dd3680e2103ca8&width=414">Aminata, 27 ans, est arrivée seule de Guinée après avoir perdu ses parents. Elle voulait aider ses frères et sœurs. Elle vivait dans le camp du kilomètre 26, dans le sud de la Tunisie, jusqu'à ce que la police y mette le feu. Depuis, elle vit au kilomètre 25 avec son fils Ismaël, né dans cette tente de fortune.
Elle a tenté de traverser la mer à quatre reprises. La première fois, son bateau a chaviré et trois de ses amis sont morts. La deuxième fois, elle a été interceptée près de Lampedusa, puis expulsée dans le désert. Elle a failli être agressée sexuellement, mais son compagnon actuel l'a défendue. À la troisième tentative, des pêcheurs ont volé le moteur. La quatrième fois, le 9 avril, son bateau a pris l'eau : « J'ai dû maintenir mon bébé pour qu'il ne se noie pas. »
Elle s'est inscrite au programme de retour volontaire, mais l'OIM lui a dit qu'il n'y avait plus de place. « Nous avons trop souffert ici », dit-elle. Elle veut juste retourner en Guinée et travailler.Séverine Sajous Mohamed Ali a refusé de le lui donner. Il a reçu un coup de machette à la main. Les assaillants ont pris la fuite à l'arrivée de la police." srcset="https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/STUSVKFXKBASNMLDGZWWMVXHYQ.jpg?auth=6b4cebbe600663cc7e2af66f638d9ef92b072fbadade9a64dfb22ff64dd4fafd&width=414 414w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/STUSVKFXKBASNMLDGZWWMVXHYQ.jpg?auth=6b4cebbe600663cc7e2af66f638d9ef92b072fbadade9a64dfb22ff64dd4fafd&width=828 640w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/STUSVKFXKBASNMLDGZWWMVXHYQ.jpg?auth=6b4cebbe600663cc7e2af66f638d9ef92b072fbadade9a64dfb22ff64dd4fafd&width=980 1000w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/STUSVKFXKBASNMLDGZWWMVXHYQ.jpg?auth=6b4cebbe600663cc7e2af66f638d9ef92b072fbadade9a64dfb22ff64dd4fafd&width=1960 1960w" width="414" sizes="(min-width:1199px) 1155 px, (largeur minimale : 1001 px) calc(100vw - 44 px), (largeur minimale : 768 px) 767 px, 100vw" src="https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/STUSVKFXKBASNMLDGZWWMVXHYQ.jpg?auth=6b4cebbe600663cc7e2af66f638d9ef92b072fbadade9a64dfb22ff64dd4fafd&width=414">Mohamed Ali a été agressé à El Amra alors qu'il tentait de retirer un virement envoyé par sa mère. Il était avec quatre amis lorsqu'un groupe de jeunes Tunisiens les a suivis jusqu'à un bureau de change. Après les avoir forcés à acheter des cigarettes et du café, ils ont exigé l'argent.
Mohamed Ali a refusé de le lui remettre. Il a reçu un coup de machette à la main. Les agresseurs ont pris la fuite à l'arrivée de la police.Séverine SajousLes migrants et les résidents locaux subissent une situation qui perdure sans solution claire. La loi interdit aux premiers de travailler ou de louer un logement ; les seconds signalent une augmentation des vols et des agressions. Cependant, dans ce climat tendu, des signes de solidarité se manifestent.
Khelil, un agriculteur qui ne trouvait pas de main-d'œuvre pour sa récolte de fèves, a décidé d'embaucher trois jeunes Africains subsahariens pour 30 dinars par jour (8,75 euros), le tarif local. Il salue leur motivation et la qualité de leur travail. « Si cela leur permet de manger et de survivre, il y aura moins de vols. La faim explique tout », dit-il, refusant de révéler son identité complète par crainte de poursuites judiciaires.Séverine SajousAu marché de Jbniana, migrants et locaux cohabitent. Des Africains subsahariens vendent des produits exotiques que les Tunisiens découvrent.Séverine SajousD'autres activités se déroulent autour des camps. Des vendeurs de poulets sillonnent la région, tandis que de jeunes hommes à moto livrent nourriture et médicaments à des personnes trop effrayées pour se déplacer. Nabil (pseudonyme) raconte avoir loué son raccordement électrique pour 250 dinars (72 euros) à un autre homme. « Ça a commencé à 17 heures. Six heures plus tard, tout était prêt. Puis la police est arrivée. Ils ont tout confisqué. » Arrêté, Nabil a été condamné à 10 mois de prison. Il décrit des conditions de détention difficiles et une atmosphère tendue. « Il y avait entre 150 et 160 personnes par cellule. Parmi elles, au moins 50 étaient des migrants africains. Deux à trois Tunisiens dormaient sur chaque matelas. Les Noirs dormaient par terre. » Son expérience carcérale l'a conduit à une rechute dans l'alcoolisme. Il dit maintenant se préparer à rejoindre clandestinement l'Europe.Séverine Sajous « Les femmes sont seules ici. J'avais peur, alors nous avons installé des barrières. Elles nous ont coûté 1 500 dinars (437 euros), et nous n'avons toujours pas fini de les rembourser. » Souad dit comprendre les migrants, car les Tunisiens migrent aussi. « Il n'y a rien ici », déplore-t-elle. Elle a perdu son fils, Badr, en 2011 en tentant de traverser la mer pour rejoindre l'Europe et craint maintenant que son plus jeune fils ne tente de faire de même. « Les migrants recherchent la même chose que mon fils : une vie digne. Je leur ai aussi donné à manger et à boire, même si je vis dans la pauvreté. Nous sommes un peuple qui sait accueillir. C'est notre esprit musulman. » https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/4CSGQF7DVREC7E65F2XKUTOUEA.jpg?auth=5aca07224ab138f120a90933a2c58dafc3dff01927b131932f5e3b0704a7ad63&width=828 640w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/4CSGQF7DVREC7E65F2XKUTOUEA.jpg?auth=5aca07224ab138f120a90933a2c58dafc3dff01927b131932f5e3b0704a7ad63&width=980 1000w, https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/4CSGQF7DVREC7E65F2XKUTOUEA.jpg?auth=5aca07224ab138f120a90933a2c58dafc3dff01927b131932f5e3b0704a7ad63&width=1960 1960w" width="414" sizes="(min-width:1199px) 1155px,(min-width:1001px) calc(100vw - 44px),(min-width:768px) 767px, 100vw" src="https://imagenes.elpais.com/resizer/v2/4CSGQF7DVREC7E65F2XKUTOUEA.jpg?auth=5aca07224ab138f120a90933a2c58dafc3dff01927b131932f5e3b0704a7ad63&width=414">Pour de nombreux Tunisiens, l'afflux massif de migrants crée un sentiment d'insécurité. Souad, un habitant d'El Amra, a installé des barreaux aux fenêtres de sa maison.
« Les femmes sont seules ici. J'avais peur, alors on a installé des barreaux. Ils nous ont coûté 1 500 dinars (437 euros), et on n'a toujours pas fini de les rembourser. » Souad dit comprendre les migrants, car les Tunisiens migrent aussi. « Il n'y a rien ici », déplore-t-elle. Elle a perdu son fils, Badr, en 2011 en tentant de traverser la mer pour rejoindre l'Europe et craint maintenant que son plus jeune fils ne tente le même voyage. « Les migrants recherchent la même chose que mon fils : une vie digne. Je leur ai aussi donné à manger et à boire, même si je vis dans la pauvreté. Nous sommes un peuple qui sait accueillir. C'est notre esprit musulman. »Séverine SajousÀ Ouled Mabrouk, lieu de passage et de départ, les maisons vides accueillent silencieusement ceux qui espèrent prendre la mer avant l'aube, même si ces tentatives se font de plus en plus rares. Chez les habitants et les passants, persiste un espoir fragile mais tenace : peut-être un jour, la mer s'ouvrira à nouveau.Séverine Sajous