"Je n’ai aucune antipathie pour Jean-Luc Mélenchon, mais je ne suis pas d'accord avec sa vision de la société": Fabrice Luchini, bientôt à Anthéa, défend la langue française avec un spectacle sur Victor Hugo

Pourquoi êtes-vous aussi souvent sur la scène d’Anthéa?
La détermination et l’opiniâtreté du directeur d’Anthéa, Daniel Benoin, y sont pour beaucoup. J’ai aussi trouvé à Antibes un public d’une attention assez remarquable. C’est un endroit qui me fait un peu peur parce que la salle est grande. Ce n’est pas rien de réunir autant de monde pendant trois soirs…
Faire le choix d’Hugo, faire le choix de la poésie peut paraître audacieux en 2025. Pourtant, vous faites un tabac…
C'est mon grand étonnement. J’ai commencé dans une salle minuscule, de 180 places. Il a rapidement fallu en trouver une de 450 places, puis de 600, puis de 1.000. Et ça fait un an et demi que ça dure…
Comment l’expliquez-vous?
C'est un miracle. Je peux tout de même avancer une hypothèse. Les Français qui aiment la culture ont besoin de savoir à quoi ils peuvent s’accrocher. Ils sont intrinsèquement Français, non par le sol, mais par la langue.
Cette langue, c’est la langue des génies qui va de François Villon à Molière en passant par Racine, Corneille, Cocteau, Yasmina Reza… Dans la salle, il y a tous les genres de gens, tous les milieux, la bourgeoisie, les gens modestes, des gens de gauche, des gens de droite. Pourquoi sont-ils là? Pour cette passion de la langue française et parce que nous sommes un pays littéraire.
Jean-Luc Mélenchon a estimé la semaine dernière que la langue française n’appartient plus à la France. Il propose même de la rebaptiser langue créole. Qu’est-ce que ça vous inspire?
Les politiques, c'est comme les cabots et les comédiens. Il faut toujours qu’ils trouvent un truc pour qu’on parle d'eux, qu’ils inventent des slogans. Les hommes politiques ne m’intéressent pas pour plein de raisons. D'abord, il faut être très névrosé pour avoir la sensation de savoir quoi faire. Moi, je ne sais jamais quoi faire. Je suis incertain, même pour savoir si je prends du café ou du thé. Mon truc à moi, c’est l’hésitation, le flottement et plutôt la dépression. Donc, je ne pourrais jamais être un homme politique.
Je n’ai aucune antipathie pour Jean-Luc Mélenchon, mais je ne suis pas d'accord avec sa vision de la société. Je pense exactement le contraire. Je pense à une très belle phrase de Céline. "Loin du français, je meurs." J’aime beaucoup le créole. Et j’aime toutes les langues. Mais il y a une chose unique, un miracle qui part de très loin, dans la langue française. Elle vient de Villon, elle est passée par les plus grands poètes du Moyen Âge, elle aboutit à une forme de perfection dans sa maîtrise au XVIIe siècle.
Et plus tard, elle a été révolutionnée par ce génie qu’est Victor Hugo. Et quelqu’un vient dire qu'il n’y a pas une histoire de la langue! Je m’en tape de savoir si c'est créole ou pas. Moi, ce qui m’intéresse, c’est la partition. C’est comme si on disait que Bach n’existe plus, que Mozart n’existe plus… Moi, ce qui m'intéresse, c’est de servir Bach et de servir Mozart.
Le Monde a écrit qu’avec ce spectacle sur Hugo, vous pactisez avec le génie. Comment avez-vous réagi à cet article?
J’ai été bouleversé. Un papier comme ça, vous en avez deux ou trois dans votre vie. Cette phrase étonnante me dépasse, mais me plaît évidemment. Je ne veux pas jouer le faux modeste, mais je n’y crois pas non plus parce que la pratique du théâtre vous maintient dans l'humilité. Chaque soir, la salle est différente, il faut conquérir le public, être à la hauteur du texte. On ne peut pas avoir le melon.
Votre spectacle sera adapté au cinéma?
Ce ne sera pas une adaptation, mais une fiction écrite par Sophie Fillières qui nous a malheureusement quittés il y a deux ans. Elle a dit à ses enfants qu'elle voulait que ce film se fasse. Elle avait eu l'envie d'imaginer une fiction autour d’un homme qui s'appelle Zuchini, Robert, et non pas Fabrice Luchini. Je pars en Angleterre pour terminer le tournage à Guernesey sous la direction de Pascal Bonitzer.
Vous avez d’autres projets?
Je vais enchaîner sur un autre film de Martin Provost avec Carole Bouquet, Chiara Mastroianni et Emmanuelle Devos. L’histoire d'un homme, dépassé par les femmes autour de lui. C’est un rôle en or. Quand je tombe dans les pommes sur la plage, les femmes se battent pour me faire du bouche-à-bouche…
À quoi ressemble l’été de Fabrice Luchini?
Je vais essayer de prendre un peu de vacances en Provence, mais ce sera un été studieux. Je n'ai pas d'aptitude à la jouissance. Il faut que je travaille. Je ne peux pas passer des soirées entières à boire l'apéro. J'adorerais, mais ça ne me convient pas. C'est bizarre, j'en souffre par moments, puis je me dis que ce n'est pas si mal…
Les 15 et 17 juillet à 20h, le 16 juillet, à 20h30. Anthéa à Antibes. De 28 à 68 euros.
Nice Matin