« Ange » : un road-movie musical en forme de baroud d’honneur de Tony Gatlif

Par Guillaume Loison
Publié le
Arthur H et Mathieu Amalric dans « Ange », de Tony Gatlif. PRINCES PRODUCTION
Critique Road-movie par Tony Gatlif, avec Arthur H, Suzanne Aubert, Mathieu Amalric (France, 1h37). En salle le 25 juin ★★★☆☆
Pour aller plus loin
Depuis le temps, on connaît bien Tony Gatlif (« Gadjo Dilo », « Exils »), sa fibre manouche, son goût de l’errance, de la poésie brute de décoffrage et des bœufs au coin du feu. « Ange » perpétue ce programme bien rodé (maladresses comprises), dans un élan, certes, reptilien, mais toujours pêchu. Témoin, cet arrêt au bord d’un champ trempé par une drache du tonnerre qui ouvre le film. Ange gratte le sol, déterre une boîte en fer-blanc bourrée de littérature gitane, récupère de grosses coupures planquées entre les pages, puis reprend la route dans l’espoir de rembourser un vieil ami perdu de vue. Le message est clair : Gatlif et son personnage de routard senior sont déjà passés par là (les exhumations de trésors se répètent au fil des kilomètres), et leur déambulation tient moins du voyage initiatique que du baroud d’honneur.
Avec ses épaules voûtées, sa mémoire saturée de souvenirs et ses archives en pagaille, Arthur H compose un baladin revenu de tout, version crépusculaire de l’icône Romain Duris, marqueur flamboyant d’un âge d’or « gatlifien » définitivement révolu – vingt ans déjà. Il faut voir comment le cinéaste cristallise ce double de fiction, gardien du temple un peu fantôme (ses visites intempestives aux compagnes d’hier, d’une caravane l’autre, sonnent comme autant d’apparitions funestes), conservateur actif d’un musée à ciel ouvert incluant fétiches, reliques et art de vivre, ravivant ici un son oublié, là un vieil instrument qui prend la poussière, professionnel érudit du nomadisme dont le niveau de maniaquerie égale celui d’un personnage de Melville (toilette de chat rigoriste, rangement du van au carré).
Cette foi illimitée, obsessionnelle, en tout ce qui touche de près ou de loin au patrimoine manouche, coexiste cependant avec une sorte d’examen de conscience. Passionné mais lucide, voire implacable, Gatlif pare la liberté de son héros d’un voile d’égoïsme (son rôle de père aléatoire, scanné sans ménagement) qui affecte jusqu’à l’horizon de son voyage, à deux doigts de devenir un dernier kif en solitaire.
Le Nouvel Observateur