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Edmund White, l’écrivain qui connaissait les joies du sexe

Edmund White, l’écrivain qui connaissait les joies du sexe

Edmund White est mort le 3 juin à l’âge de 85 ans. L’écrivain américain, qui a mis l’homosexualité au centre de son œuvre, insufflait autant de plaisir dans sa vie que dans sa plume… Et savait rougir comme personne, se rappelle, ému, l’auteur Gary Shteyngart dans “The Atlantic”.

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Lecture 4 min. Publié le 8 juin 2025 à 10h25
L’écrivain Edmund White chez lui à Manhattan, le 17 juillet 2020, au moment de la publication de son livre “The Loves of My Life.” PHOTO SEPTEMBER DAWN BOTTOMS / NYT

Edmund White piquait des fards comme personne. Je me souviens de l’avoir vu à une fête organisée en son honneur, pendant la lecture d’un de ses essais les plus crus (ce qui n’est pas peu dire, dans son cas) – j’avais la cervelle qui avait à se contorsionner dans tous les sens simplement pour visualiser les bons organes dans les bons réceptacles. L’embrasement d’Edmund parvenait alors, Dieu sait comment, à lui tapisser les joues et à se propager au front et au menton, puis aux oreilles, jusqu’à l’emplacement qui était chez lui le plus admirable de tous : son âme bienveillante et contemplative. Personne ne s’empourprait comme Ed. Et quand vous le voyiez ainsi cramoisir, vous retrouviez ce petit gars du Midwest piaffant d’impatience de se jeter dans le vaste monde et d’être accepté par lui.

Le chemin entre sa ville natale de Cincinnati et les salons européens et newyorkais semble plus rectiligne qu’il ne l’a été en réalité, de même que l’aisance et l’absence d’affectation de sa prose dissimulaient son immense talent. Vous pouviez aussi bien le voir dîner avec des baronnes italiennes que dans des snacks quelconques de Key West, ou dans les entrailles jonchées de livres et prodigieusement bordéliques de son propre appartement et, chaque fois, c’était avec le même pourpre aux joues.

L’homme gloussait beaucoup. Ça peut sembler un détail quand on parle de l’un des plus grands écrivains américains, mais les gloussements d’Ed provenaient du même endroit que ses empourprements. Il gloussotait comme si vous le chatouilliez, comme un garnement redécouvrant sans cesse sa propre malice. Peut-être était-ce là le secret d’Ed. Le coauteur de The Joy of Gay Sex [les joies du sexe homosexuel, inédit en français] n’était jamais blasé ; il n’a jamais fait une croix sur le plaisir, même quand l’âge et la maladie se liguaient pour l’en priver.

Il avait fait paraître dernièrement l’un de ses plus beaux livres, The Loves of My Life [les amours de ma vie, inédit en français], qui, certes, est un énième livre de souvenirs d’Edmund White, mais aussi un exposé brillant sur l’importance du sexe et de l’amour, dans toutes leurs variantes concomitantes, pour l’animal humain et, par extension, pour la production artistique des animaux que nous sommes. À une époque où la mécanique foutraque du sexe se voyait prier de quitter la page pour gagner les rangs d’un porno fétichisé, Ed tenait à ce que la littérature conserve l’extase, le désespoir et le ridicule sublime de deux corps (parfois davantage) se donnant des coups de boutoir. Il aimait le sexe comme ses jeunes contemporains aiment la reconnaissance ou un œuf bien cuit pour leur brunch.

Et les joies de l’amour et du sexe se mêlaient à celles de la conversation et de l’écriture dans l’esprit comme dans l’œuvre d’Ed. À titre personnel, j’aime bien les potins, mais Ed, lui, les érigeait au rang d’art. L’entendre cancaner, c’était du nectar. Il en perdait son souffle, tout transi, amoureux de l’histoire qu’il était en train de rapporter. La virtuosité avec laquelle il analysait le théâtre social sans cesse renouvelé qui se jouait devant lui était telle que ses commérages en avaient valeur de prépublication. Les gens, dont votre serviteur, confiaient tout à Ed, à la fois parce qu’ils l’aimaient et parce qu’ils voulaient l’entendre gloussoter, et aussi parce qu’ils voulaient qu’il soit l’interprète canaille de leurs vies.

Il est de coutume, dans pareil éloge, de relater le jour de sa rencontre avec la personne qui vient de nous quitter, mais, pour être franc, je ne m’en souviens pas. Je suppose cependant que c’était il y a 23 ans, parce que, dès que vous sortiez votre premier livre, Ed était là, dans tout l’éclat de ses embrasements et de ses gloussotements. Il y avait souvent, à côté d’Ed, devant un whisky single malt, un auteur à la mine renfrognée, exsudant la prétention, vous toisant de toute sa hauteur. Je savais immédiatement auquel des deux écrivains je voulais ressembler.

Je me souviens d’une nuit un peu trop arrosée où, déambulant dans les pièces privées de son appartement tandis qu’une nouba de tous les diables faisait rage dans les parties communes, je prenais des photos (au moyen d’un vieux téléphone portable qui n’était guère à la hauteur de la tâche) de sa chambre et de sa salle de bains, parfaitement quelconques, transpirant la normalité, et je me disais : voilà à quoi doit ressembler la maison d’un grand écrivain. Ils sont là, les enseignements de sa vie et de son œuvre, à chacune des pages de ses livres, un “vade-mecum de l’artiste” à la disposition de tous : gardez les yeux ouverts, enregistrez tout, tombez amoureux à qui mieux mieux, irradiez la gentillesse en tous lieux, même si vous devez aller l’extirper des bas-fonds de l’histoire, de votre parcours et de l’intolérance. Bon nombre de mes meilleurs amis écrivains sont partis à la cinquantaine ; Ed a vécu pleinement sa vie à tous égards, mais sa disparition n’en a pas moins un retentissement particulier. Personne ici-bas n’a même le dixième du pourpre qu’il avait aux joues.

Le nouveau roman de Gary Shteyngart, Vera, or Faith, paraîtra cet été [en anglais].

Courrier International

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