À la tête de l’Institut de l’Entreprise, Pierre-André de Chalendar estime qu'il faut renouer le pacte entre l'entreprise et le salarié

À la tête de l’Institut de l’Entreprise, l’ancien PDG puis président du Conseil d’administration de Saint-Gobain plaide pour un retour des plans de carrière pour renouer le pacte entre salariés et entreprises.
L’ascenseur social dans l’entreprise, c’est fini?
Alors, je dirais qu’il existe moins qu’il n’existait. Et une des raisons, c’est un peu le fait que l’industrie, qui est un vecteur important de cette mobilité sociale ascendante, occupe aujourd’hui une place moins importante. Parce que la mobilité professionnelle dans l’industrie est plus facile. Et l’évolution des métiers industriels a fait que c’est devenu de plus en plus important et, j’allais dire, nécessaire.
Par le biais de la formation?
Il y a eu historiquement plus de formation dans l’industrie et une évolution des tâches qui s’est faite dans le temps. Et si vous voulez un opposé à l’extrême, par exemple le sujet des services à la personne, qui sont des métiers qui se développent beaucoup, mais dans lesquels l’évolution des tâches est moins évidente, et les entreprises qui travaillent dans ce secteur-là, ont historiquement aussi un appétit plus faible pour faire évoluer leurs salariés.
Ce recul de l’entreprise comme ascenseur social a un impact sur l’économie?
Moins les travailleurs sont qualifiés, plus ils ont de risque d’avoir un emploi qui n’est pas à temps plein. La part du temps partiel subi est beaucoup plus importante chez les non qualifiés. La part des salariés non qualifiés au chômage est plus importante que la moyenne. Et c’est au moins autant un coût pour l’économie qu’une production de richesses. Donc on a un gros sujet dans ce domaine.
Est-ce que le regain pour l’apprentissage, est une façon de pallier ce déficit?
Les voies professionnelles, qui alternent formation et début de travail préparent mieux à une évolution et à une mobilité. Je pense qu’effectivement, l’apprentissage est une bonne chose et je regrette un peu que la réforme du lycée professionnel, qui était une bonne idée, soit restée au milieu du gué. Je crois qu’effectivement, la professionnalisation des formations est un remède à ce phénomène qui n’est pas bon pour l’économie.
Cela se traduit aussi par une défiance à l’égard du pacte social en général?
C’est le phénomène des trappes à bas salaire. C’est le sujet des allègements de charges, qui fait qu’aujourd’hui, si vous augmentez des salaires qui sont relativement en bas de l’échelle, avec des allègements de charges, il faut donner quatre fois plus que ce que le salarié va toucher. On peut résumer en disant que le travail ne paie plus à ce niveau-là. Et donc, ça, c’est un frein aussi à l’évolution, parce que l’évolution, c’est aussi une évolution salariale. Quand je parlais de l’industrie, tout le monde sait bien que dans l’industrie, les salaires sont plus élevés que la moyenne aussi.
Le coût du travail est trop élevé?
Il y a une trop grosse différence en France aujourd’hui entre ce que ça coûte à l’entreprise et ce que le salarié voit sur son bulletin. Le sujet en France, il est encore plus sur les charges patronales que sur les charges salariales.
Quelle solution pour réduire cet écart?
Je pense que notre système de protection sociale qui vient de la Libération, aujourd’hui est à bout de souffle. Si je schématise, on a quatre grands postes de charges dans les charges qui pèsent sur le travail. On a la retraite, on a le chômage, on a la famille et la santé. Et je pense qu’autant le lien entre la retraite et le chômage d’un côté et le travail des entreprises de l’autre, est assez facile à faire. Autant la santé et la famille, ce n’est pas normal que ça pèse sur le coût du travail. ça devrait relever d’autres mécanismes de solidarité nationale.
Mais est-ce que ce n’est pas aussi la politique RH qui a freiné l’ascenseur social?
Je pense que le salarié, s’il voit que dans l’entreprise dans laquelle il est entré en premier, il a des perspectives d’évolution, il va avoir moins tendance à chercher ailleurs. C’était un contrat tacite autrefois entre les entreprises et les salariés qui s’est un peu abîmé. Enfin chez Saint-Gobain, ça n’a pas tellement changé. Simplement, je pense que les entreprises doivent faire plus d’efforts si elles veulent obtenir ça. Mais si c’est moins naturel, c’est parce qu’elles ont moins rempli leur rôle, quelquefois, parce qu’il y a eu des restructurations. Et donc c’est logique que ça entraîne aussi, quand on fait ça, un sentiment de la part des salariés qui se demandent est-ce que je peux faire confiance, est-ce qu’on va s’occuper de moi sur le moyen et le long terme?
Comment renouer la confiance?
Compte tenu des difficultés de recrutement qui ne sont pas prêtes de s’arrêter car la démographie ne va pas aider de ce point de vue là, je pense que le rapport de force, va évoluer. Et je pense que les entreprises vont être obligées de se préoccuper plus de ces sujets qu’elles ne s’en sont occupés dans les dernières années.
Ça fait partie des propositions que pousse l’Institut de l’entreprise?
Oui. sur le coût du travail, tout à fait. On pousse beaucoup de ces idées-là. Et on est impliqués sur le lycée professionnel comme on l’a été sur l’apprentissage et sur tous les sujets de formation. La mission principale de l’Institut de l’entreprise, c’est d’essayer de rapprocher les Français de l’entreprise. Si on veut que les Français se rapprochent de l’entreprise, il faut que l’entreprise véhicule une image qui soit positive. Aujourd’hui, on est plutôt dans un monde de défiance où plus de 60% des Français font confiance à l’entreprise. Mais ils attendent d’elles qu’elles jouent un rôle positif sur le plan sociétal, soient des bonnes citoyennes dans leur environnement, dans leur ancrage territorial, s’intéressent aussi aux sujets écologiques. Et donc nous, on travaille aussi sur l’évolution de l’entreprise pour qu’elle soit attirante.
Comment?
Ça veut dire donner du sens. Et donc quand on donne du sens, on se projette forcément au-delà de la fin du mois. Avoir des politiques de partage de la valeur qu’on fait beaucoup dans les grands groupes mais pas encore dans les plus petites entreprises. C’est les systèmes d’intéressement, de participation. Et au-delà, je suis très favorable au développement de l’actionnariat salarié.
Var-Matin