À qui appartiennent vraiment les pubs de Londres ?

Lors d’une tournée des bars de la capitale britannique, ce journaliste de l’hebdomadaire “The New Statesman” a découvert un réseau vertigineux de montages “offshore” derrière les comptoirs. Les pubs de quartier, adulés par les locaux, se retrouvent ainsi à la merci du bon vouloir de propriétaires désincarnés.
Le volume des racines d’un arbre peut être trois fois supérieur à celui de ses branches. C’est pareil pour Londres : on regarde un bâtiment ou un commerce et on se dit que c’est une série de briques, qu’il y a quelqu’un qui vend des choses ; or ce n’est peut-être pas tout. Derrière le bâtiment, il y a des relations financières qui s’étendent parfois sur des milliers de kilomètres, un monde miroir de structures patrimoniales complexes que personne ne remarque – à moins de se donner la peine de creuser la question et de barber des gens qui essaient juste de déguster un verre.
C’est ce que j’ai fait récemment dans le cadre d’une tournée de pubs londoniens. Ces établissements ont l’air d’être des pubs situés à Londres, mais – comme des dizaines de milliers de biens londoniens – ils représentent surtout un investissement pour les sociétés des îles Vierges britanniques, des îles Caïmans, de l’île de Man, du Luxembourg et de Jersey qui en sont les propriétaires.
Et ceux-ci se soucient peu de l’activité proprement dite du lieu ou des gens qui s’y trouvent. Le pub était jadis un élément fondamental de notre caractère national. “Personnellement, je voudrais être dans une taverne à Londres”, s’exclame un page qui rêve d’un pot de bière et de sûreté en plein siège de Harfleur dans la pièce Henry V de Shakespeare. Mais un quart de nos pubs ont fermé depuis l’an 2000. Et les tavernes de Londres proposent désormais une sorte différente de liquide : elles sont un lieu où conserver la richesse, une couverture pour les capitaux internationaux qui circulent discrètement.
Nous commençons par un pub qui est géographiquement et culturellement au cœur de la vie politique britannique : The Two Chairmen, à Westminster. C’est là que les membres du ministère des Finances se réunissent pour se prendre une pinte après l’adoption du budget. C’est là que Nigel Farage a lancé son identité politique clopes-et-pintes lors d’un entretien alcoolisé avec le Telegraph en 2007. On y retrouve des conseillers politiques, des lobbyistes, des zozos de groupes de réflexion, de temps en temps des députés. Il se trouve à quelques pas des locaux des médias Prospect, The Spectator et UnHerd.
Ironie du sort compte tenu de la quantité de personnes favorables au Brexit qui hantaient les lieux, The Two Chairmen a été vendu à des étrangers le 24 juin 2016, le lendemain du jour où le Royaume-Uni a décidé de quitter l’UE. Magnus Property, qui a acheté le pub pour 13,5 millions de livres sterling (pas donné), est une société offshore enregistrée à l’île de Man (un territoire autonome et distinct du Royaume-Uni même si le roi Charles en est le monarque). Elle partage son adresse – au premier étage d’un petit immeuble de bureaux surplombant le port de Douglas, la capitale de l’île – avec 180 autres sociétés, on peut donc supposer qu’elle n’existe pratiquement que sur le papier.
Quand les Chairmen ont été vendus, en 2016, on pouvait apprendre qui en était le nouveau propriétaire, à savoir Magnus (versez 7 livres sterling au cadastre et vous pourrez savoir qui est propriétaire de n’importe quel bâtiment), mais il était impossible de savoir qui était propriétaire de Magnus.
Il y a longtemps que les sociétés offshore permettent d’acheter discrètement des biens onéreux en évitant de payer des taxes. Par exemple, si un ancien Premier ministre et sa femme [en l’occurrence Tony et Cherie Blair] débarquent chez un agent immobilier et achètent une maison de 6,5 millions d
Courrier International