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Après plus de deux mois de grève, l’amère victoire des femmes de ménage des Finances publiques

Après plus de deux mois de grève, l’amère victoire des femmes de ménage des Finances publiques

Par Raphaël Ouptier

Publié le

Les grévistes après l’accord obtenu le 5 mai.

Les grévistes après l’accord obtenu le 5 mai. FABRICE EGALIS

Récit En grève depuis le 24 février, des employés de Maintenance Industrie, qui travaillent à temps partiel sur plusieurs sites parisiens de la Direction régionale des Finances publiques, ont fait céder leur direction. Ils ont obtenu des heures de travail supplémentaires.

Ce 5 mai, ils sont une vingtaine dans un petit square parisien à chanter « On a gagné ». Ils sont pour la plupart grévistes, employés par l’entreprise de nettoyage et d’entretien Maintenance Industrie. Peu qualifiés, souvent d’origine étrangère et à la maîtrise du français parfois fragile, ils sont accompagnés de quelques soutiens de la CGT et du Parti communiste. Abrités de la rue par une longue grille noire, ils célèbrent la victoire et le protocole de fin de grève qu’ils viennent de décrocher. Ils ont obtenu de leur employeur du temps de travail supplémentaire. « Une heure par jour en moyenne » et, surtout, la hausse de salaire qui va avec. Habitués à nettoyer les toilettes, bureaux et couloirs des différents sites de la Direction régionale des Finances publiques (DRFIP), voilà déjà plus de deux mois que ces salariés n’y ont pas mis les pieds.

Si les travailleurs de Maintenance Industrie se sont mis en grève, le 24 février, c’est pour protester contre les temps partiels – subis – qu’ils occupent. « Tous les mois, je ne gagne qu’entre 600 et 660 euros. Ce n’est pas suffisant », glisse Djita, qui travaille trois heures par jour aux Finances publiques depuis plus de vingt ans. Mère de huit enfants, ce faible revenu ne lui permet pas de boucler ses fins de mois. « On se plaint aussi de la quantité, lâche-t-elle. Il y a beaucoup de bureaux à nettoyer. Tellement que je ne peux pas les compter. Alors, on s’organise. On doit trouver des techniques. Quand on rentre, on est tellement fatigués qu’on prend un doliprane. » Ce n’est pas la première fois que des agents de nettoyage dans des organismes publics se mettent en grève pour dénoncer leurs conditions de travail : en 2020 déjà, les femmes de ménage de l’Assemblée nationale, elles aussi peu qualifiées et souvent d’origines étrangères, s’étaient mobilisées.

Depuis le début de l’année, l’exaspération et la lassitude des grévistes se sont transformées en colère froide. Des fonctionnaires, syndiqués à la CGT des Finances publiques, leur ont appris que leur nombre d’heures aurait dû augmenter il y a un an et demi. Pour nettoyer les locaux de la DRFIP, un prestataire est choisi tous les trois ans. En novembre 2023, quand vient le moment de le renouveler, Maintenance Industrie remplace l’entreprise précédente, mais en conserve les effectifs. Les travailleurs changent d’employeur.

« On est comme des esclaves pour eux »

Ce qu’ils ne savent pas – et qu’ils ignoreront jusqu’en janvier 2025 – c’est que le montant du contrat remporté par Maintenance Industrie a doublé par rapport au précédent, passant à 3,2 millions d’euros. Le chiffre sera – selon la CGT des Finances publiques - donné à l’oral aux représentants des personnels de la Direction régionale des Finances publiques par le directeur de l’immobilier et logistique, David Marie. En échange, le nombre d’heures de travail doit augmenter. C’est ce qu’explique la DRFIP dans un document interne, datant de novembre 2023, que « le Nouvel Obs » a pu consulter. « Le nouveau marché de nettoyage […] a pour conséquence une hausse de 100 % des heures de ménage et des fréquences de nettoyage plus importantes », y écrit l’organisme public. « Les heures devaient doubler, et la rémunération suivre. Rien n’a doublé », s’agace Fabrice Egalis, membre de la CGT Finances publiques. « Dans le même temps, il y a eu plus de locaux administratifs à nettoyer et la charge de travail a augmenté. Pourtant, la société a pris l’argent et n’a rien donné aux employés. » La somme du contrat passé en 2023 a-t-elle bien doublé par rapport au précédent ? Pourquoi cela n’a pas été le cas des heures de travail des employés ? Contactés, la DRFIP et Maintenance Industrie n’ont pas répondu à nos questions.

« Personne ne nous avait prévenus qu’ils avaient eu plus d’argent, explique Djita. Nous, on travaille et on n’a rien. On est comme des esclaves pour eux. Je suis en colère. Ce sont des voleurs. » « On leur sert juste à gagner beaucoup d’argent », abonde Marie, travailleuse sur les sites de la DRFIP depuis 2001. « Ils nous voient comme des poubelles. Quand j’ai appris [que le montant du contrat avait augmenté], j’ai crié. Ce n’est pas normal », tance celle qui fêtera ses 56 ans dans quelques jours.

Et une fois la grève lancée, la victoire, aujourd’hui actée, était loin d’être acquise. Les syndicats partent divisés. Plutôt qu’avec la CGT propreté, soupçonnée d’être trop tendre avec les employeurs, c’est avec la CGT des Finances publiques qu’échangeront les employés de Maintenance Industrie dans le cadre de la négociation. Ce qui complique le début des discussions. « La direction de Maintenance Industrie a attendu la fin de la 6ᵉ semaine de grève pour recevoir une délégation de grévistes et le patron a attendu la 10ᵉ semaine pour les recevoir », déplore la CGT dans un tract diffusé quelques jours avant la fin des négociations.

Si la rancœur face à leur employeur restait forte à l’issue des tractations, elle était masquée par de larges sourires. Le protocole de fin de grève, auquel « le Nouvel Obs » a eu accès, acte, pour tous les grévistes, des hausses de temps de travail ainsi qu’une revalorisation de 2,1 % de la grille des salaires conventionnelle. Les grévistes se verront également remettre une prime d’un montant correspondant à 60 % de la rémunération qu’ils n’ont pas touchée pendant leur mobilisation. Certaines de leurs revendications n’ont, en revanche, pas abouti. « Alors que les grévistes réclamaient depuis le début une prime de 25 euros pour nettoyer la blouse de vêtements, la direction a décidé de verser 50 centimes brut par mois pour un temps plein, explique la CGT dans un communiqué. Les grévistes ont refusé cette insulte de pièce jaune. »

Le Nouvel Observateur

Le Nouvel Observateur

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