Après un demi siècle d’activité sur l’avenue Borriglione à Nice, l’enseigne de chaussures Dutto fermera définitivement dans quelques semaines

Dutto ferme définitivement le 23 août. Le magasin attenant, sous l’enseigne Rieker, aussi, et même plus tôt: le 29 juillet. À la fin de l’été, ça ne marchera donc plus pour ces deux commerces emblématiques, situés 18 et 20, avenue Borriglione, qui disparaîtront du paysage marchand du quartier.
On ne trouvera plus chaussure à son pied à ces deux adresses mitoyennes, exploitées pour Dutto depuis 51 ans, dont 25 dans le giron familial des Laurenti – et depuis 10 ans pour Rieker. Fin d’une belle histoire familiale, que délace avec émotion, le responsable, Ludovic Laurenti, 49 ans.
Avant 1974, une pharmacie occupe l’angle de Borriglione et de la rue Michel-Ange à quelques pas du marché de la Libération. Un peu plus bas dans l’avenue, René et Jacqueline Dutto sont cordonniers. Ils migrent à la place de l’officine transformée en magasin de chaussures. "C’était de la chaussure de ville, rappelle Ludovic. Mon père, Jean-Paul, était représentant en chaussures pour une très grosse usine française. Quand les Dutto décident de prendre leur retraite, ils en parlent à mon père, qui le répète à ma mère, Arlette. À l’époque, elle aide de temps en temps une amie, qui tient le magasin de chaussures Vergne en centre-ville. La reprise de Dutto l’intéresse. On est au tout début des années 2000. Comme l’enseigne Dutto est connue à Nice, ma mère conserve le nom."
Une nouvelle vie pour s’occuper de son filsArlette et Jean-Paul ont trois fils, dont Ludovic, l’aîné, journaliste à Nice-Matin comme son épouse. "Notre fils, âgé de 5 ans, va entrer à l’école primaire, poursuit Ludo. Une question se pose alors à nous: comment gérer un enfant, et notamment sa scolarité, en étant tous les deux journalistes, sans horaires fixes, mais souvent tardifs?" Le cours de la vie aiguille le jeune couple vers un changement radical. Arlette Laurenti a ouvert un local contigu au magasin Dutto pour y vendre des vêtements, sa marotte, tandis que son frère a rejoint le commerce de chaussures voisin. "Un jour, ma mère m’annonce que mon oncle prend sa retraite et qu’elle arrête les chaussures pour garder les vêtements! En une seconde, ça a fait tilt dans ma tête: pourquoi ne pas reprendre moi-même la boutique, ce qui me permettrait de m’occuper de mon fils plus facilement? En 2011, je négocie mon départ du journal."
Et Ludo se lance dans la godasse, moyen de gamme et de confort, épaulé par sa mère depuis son échoppe de fringues mitoyenne: "Elle m’a beaucoup aidé et accompagné dans mon nouveau job et je la remercie infiniment."
Il renonce à la plaine du VarQuatre ans plus tard, le fabricant allemand Rieker, spécialisé dans le soulier de confort absolu, décide d’ouvrir des commerces avec des contrats de partenariat en s’appuyant sur des professionnels connaissant la marque. Ludo en fait partie. "J’ai signé pour lancer une enseigne dans la plaine du Var, à Nice One. Mon dossier a été accepté. À 10 jours de la signature finalisant le bail chez le notaire, ma vendeuse m’annonce qu’elle part à la retraite. Catastrophe! Si je vais dans la plaine du Var, Dutto c’est mort. J’ai tout stoppé et avec l’accord de Rieker, j’ai installé, en 2015, l’enseigne allemande dans le magasin de vêtements de ma mère. Ce qui m’a permis de connaître d’autres fournisseurs et de rajeunir ma clientèle et donc, durant 10 ans, j’ai tenu les deux magasins côte à côte."
Aujourd’hui, l’aventure s’arrête. Pour des raisons inhérentes au marché qui a pris un coup de semelle. À partir du 4 juin, la marchandise sera liquidée. Avec une contrariété qui tourne en boucle dans l’esprit de Ludo: "C’est un crève-cœur d’arrêter une activité de 51 ans et de laisser deux employées extraordinaires, sérieuses et honnêtes."
Un business qui traîne des piedsLudovic Laurenti tourne les talons. Les sneakers, les ballerines, les sandales, les pantoufles, c’est fini. Pourquoi au fait? Parce que le marché de la chaussure est en pleine mutation selon ce commerçant: "Cela fait 2/3 ans que c’est de plus en plus difficile. Les habitudes de consommation changent. Les commandes en ligne se multiplient. Même sous mon enseigne qui attire des fidèles, des riverains, j’ai aussi des clientes de passage, qui achètent au coup de cœur, mais que je perds à cause des ventes sur Internet. La deuxième raison pour laquelle je vends, c’est la date des soldes. Ils débutent de plus en plus tôt. Cette année, les soldes d’été, c’est le 25 juin. C’est au moment où il fait beau, qu’on débute les soldes. Avec les promotions fréquentes, la qualité tirée vers le bas pour avoir de la marge en sachant qu’on va faire des soldes à prix surestimés, on n’arrive plus à vendre au prix normal."
Troisième cause d’un négoce piétiné: "Le tramway n’a pas drainé que du positif dans le quartier. Les clients potentiels vont plus facilement en centre-ville, certes, mais délaissent les commerces de proximité. On a perdu cette clientèle captive de village."
Souvenirs et padelPour autant, le chausseur précise qu’il cesse son activité dans de bonnes conditions: "La situation des deux affaires est saine. J’ai zéro dette." Et après la saga Dutto-Laurenti? Rien n’est encore officiellement signé, mais il n’y aura vraisemblablement plus de chaussures derrière les prochaines vitrines: "Vendre pour faire un autre magasin de chaussures devient impossible ou alors, c’est bradé. À cause du changement de consommation, les banques ne prêtent plus aux acheteurs intéressés par ce type d’articles."
Une nouvelle reconversion professionnelle botte Ludo: "En avril 2023, j’ai ouvert un magasin de souvenirs, rue Mascoïnat, dans le Vieux-Nice. Je le garde, mais je cherche également un emplacement dans Nice, pour monter un complexe de padel indoor."
Nice Matin