Bientôt mon visage dans un jeu vidéo ?

Une entreprise de Sheffield, en Angleterre, numérise les visages d’habitants contre rémunération. Le but ? Créer une base de données pour l’industrie du jeu vidéo. Une étudiante en journalisme a tenté l’expérience pour “The Sheffield Tribune”. Voici son récit.
Mes doigts s’enfoncent dans les bords du fauteuil tandis que je me redresse, cernée par 71 appareils photos ultra-haute résolution qui scrutent le moindre trait, la moindre ride, le moindre angle de mon visage.
Cinq minutes plus tôt, je suis arrivée dans l’agence du projet Sapiens à Orchard Square, dans le centre-ville de Sheffield [nord de l’Angleterre], pour m’enregistrer. Un personnel prévenant m’accueille et me guide derrière les écrans roses qui me rappellent mes droits, jusqu’à une salle où un responsable me tend un iPad : j’y trouve un formulaire de décharge que je balaie du regard, l’ayant déjà étudié sur le site quelques jours plus tôt.
La lecture de certains paragraphes me met encore un peu mal à l’aise :
“Je renonce à tout droit, réclamation ou intérêt dont je dispose pour contrôler l’utilisation de mon image. Je renonce volontairement et en connaissance de cause à tout droit légal ou interdiction concernant mes données biométriques.”
Puis on m’emmène dans une loge privée où je me laisse pomponner et abreuver de compliments sur mon pull, mes cheveux et mon visage. Une femme se saisit d’un débardeur gris soigneusement plié sur une pile et me le passe avant de me coiffer d’un sous-bonnet de perruque dans lequel elle ramène quelques cheveux rebelles avec la pointe d’un peigne. Tout ce qui compte, c’est mon visage. Le reste importe peu.
C’est le moment. Une porte que je n’avais pas remarquée s’ouvre en coulissant et je me dirige vers le fauteuil. C’est le point de non-retour. “Reculez-vous un peu”, me demande un assistant. D’un coup, 71 obturateurs d’appareil photo résonnent d’un claquement sec, et une milliseconde plus tard, mon visage ne m’appartient plus.
Ten24 est l’entreprise de Sheffield la plus intéressante dont vous n’avez jamais entendu parler. Parmi ses clients se trouvent des sociétés comme Facebook, Apple, les parapharmacies Boots et le service de santé publique britannique (NHS). Plutôt impressionnant pour une société qui n’emploie que neuf personnes.
Sa spécialité : prendre des photos incroyablement précises et détaillées, essentiellement (mais pas seulement) de visages et de corps humains pour en faire des modèles 3D hyperréalistes. Modèles destinés à une multitude d’usages, qu’il s’agisse de mannequins en surpoids pour des cours d’anatomie ou d’échantillons de couleurs de peau pour les fabricants de maquillage.
Leur principal débouché est néanmoins le secteur du jeu vidéo. Il fut un temps où les studios façonnaient leurs héros en partant de zéro. Et personne ne risquerait de confondre le visage anguleux d’un personnage de jeu vidéo des années 1990 avec celui d’une personne réelle.
Mais les joueurs d’aujourd’hui veulent de l’hyperréalisme, jusqu’à voir les lignes d’une paume de main et compter les poils de sourcils de leur personnage. Mais il faudrait un temps fou pour fabriquer des personnages aussi réalistes. Ne serait-il donc pas plus simple de prendre des photos ultradétaillées de personnes réelles ?
C’est exactement ce que fait Ten24 depuis dix-sept ans. L’entreprise a été la première à investir dans ce genre de technologie, même si d’autres lui ont emboîté le pas depuis. La visite de son magasin en ligne est une expérience assez perturbante.
Des alignements de visages, tous chauves, se succèdent – vendus pour 69,99 livres chacun [un peu plus de 80 euros]. On trouve aussi des “lots” de mannequins numériques, à peu près nus. Sans oublier un catalogue de mains, de pieds et de dents. On peut aussi filtrer ces corps numériques par âge, genre ou origine ethnique.
Les images de cet inventaire public sont celles de mannequins professio
Courrier International