C’est quoi le mouvement «Bloquons Tout» qui appelle à «un arrêt total du pays» à partir du 10 septembre ?

Un nouvel «acte» des Gilets jaunes ? Près de sept ans après le mouvement de protestation citoyen qui avait partiellement paralysé la France, entre blocage des axes routiers et appels nationaux à manifester, une nouvelle mobilisation se prépare en ligne. Baptisée «Bloquons Tout !», elle se présente, en tout cas dans sa forme actuelle, comme une réponse au tour de vis budgétaire annoncé par le Premier ministre, François Bayrou, le 15 juillet – avec pour mesure phare la suppression de deux jours fériés. En réaction, le mouvement ambitionne de mettre en place «un arrêt total et illimité du pays» à compter du 10 septembre.
Parmi les publications identifiées par CheckNews sur les réseaux sociaux, la première mentionnant la date du 10 septembre est en réalité un peu antérieure à la présentation du plan de Bayrou, puisqu’elle a été mise en ligne le 14 juillet – alors que le Premier ministre a pris la parole le 15. Ce contenu émane du compte TikTok des Essentiels, une organisation prônant «une France souveraine». Dans la vidéo, le 10 septembre est présenté comme «le jour où la France s’arrête», où le pays «se confine, pas par peur d’un virus, mais par volonté d’un peuple qui dit stop aux injustices, stop aux abus, stop à ce système qui broie les humains pour nourrir les profits». Et sur le site web des Essentiels, un «mode d’emploi» est proposé, suggérant de «limiter sa consommation à l’essentiel», de «régler uniquement en espèces», ou de «couper la télévision», à partir du 10 septembre.
L’appel prend de l’ampleur en ligne lorsqu’il est diffusé par d’anciennes figures des Gilets jaunes. Dans la nuit du 14 au 15 juillet – toujours en amont des annonces de Bayrou, donc – Anaïs Albertini, qui avait pris part aux manifestations à l’époque, est la première, sur son compte Facebook, à «répondre à l’appel du 10, 11, 12 septembre, voire plus». «Notre seul pouvoir est le boycott total», clame-t-elle. Le 15 juillet dans la journée, Anaïs Albertini met en ligne un autre post Facebook contenant un «appel national à la solidarité du peuple pour un arrêt total général et illimité du pays à partir du 10 septembre 2025».
Puis, le 17 juillet, c’est encore elle qui partage, sur la même plateforme, un tract, sur fond bleu, devant permettre au «peuple» de se fédérer. Dans ses publications, elle assure se contenter de relayer l’appel, et refuse d’endosser la maternité du mouvement. Sollicitée par CheckNews, elle n’a pas donné suite, mais dans un live Facebook diffusé mardi, elle explique : «Il y en a beaucoup qui se demandent qui a fait le tract […]. On ne donnera aucune source […] Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’y a aucun parti politique ni aucun syndicat qui est mêlé dedans. Ce sont des personnes comme nous, des citoyens et des citoyennes de ce pays qui ont lancé l’appel.»
Une nouvelle étape dans la structuration du mouvement est franchie le 19 juillet avec la création d’un site web, «mobilisation10septembre.blog», puis d’un compte sur X dès le lendemain, qui compte déjà plus de 1 000 abonnés.
Sur ce site, qui propose de dire «stop à l’austérité Bayrou», un lien vers un groupe Telegram national, dédié à l’organisation de la journée du 10 septembre, a vu le jour ce mercredi. Concrètement, trois modalités sont citées. La première : le boycott («on arrête de faire tourner leur système») passant notamment par le fait de ne «plus acheter dans les grandes surfaces qui profitent des baisses de cotisations, des aides publiques, tout en pressurant les salariés (Carrefour, Auchan, Amazon, etc.)» mais aussi de «retirer son argent des grandes banques complices de la spéculation et de la politique de casse sociale» pour «le placer dans des banques coopératives ou locales». Ensuite, la désobéissance civile via «l’occupation pacifique de lieux symboliques» comme les préfectures ou les mairies, des blocages ciblés, ou le «soutien actif à ceux qui désobéissent». Vient enfin la «solidarité citoyenne» visant par exemple à mettre en place des caisses de grève, «ouvrir des espaces de discussion et de coordination dans chaque quartier, chaque village» ou encore à «relier les luttes».
Des modes d’action très inspirés de ce qui se fait à gauche. Mais l’initiative est aussi beaucoup relayée en ligne par des comptes d’utilisateurs clairement d’extrême droite et de la fachosphère. Les 28 premiers abonnements du compte X lié au site du mouvement regorgent également de figures ou canaux de la sphère évoluant à la croisée de l’extrême droite et du conspirationnisme. A l’image de la journaliste Myriam Palomba, proche de Florian Philippot vue chez Hanouna et qui diffuse les théories conspirationnistes les plus hardcores en ligne. Ou du compte de «réinformation» de la mouvance identitaire (et complotiste pro-Kremlin) «Nice Provence info».
Auprès de l’Humanité, qui a échangé avec le créateur de la plateforme en ligne, ce dernier, qui se présente comme un salarié de 37 ans travaillant chez Enedis, indique que le mouvement «accepte d’être soutenu par tout le monde quel que soit le parti. Nous, on est en dehors de la politique. Tout ce qu’on veut, c’est se battre contre le plan de François Bayrou et rassembler tout le monde en dehors des divergences politiques». Même rengaine du côté d’Anaïs Albertini, qui insiste dans son live Facebook sur le fait d’être complètement «apartisane» et qui regrette qu’«on essaye absolument de nous coller une étiquette».
Mais sur la page d’accueil du site, un seul tweet est mis en avant. Plutôt neutre bien que soutenant l’initiative, il émane du compte «Au bon touite français» qui diffuse à ses 133 000 followers désinformation complotiste et propagande d’extrême droite. Comme ce lundi 21 juillet, par exemple, lorsqu’il expliquait que les «piliers fondamentaux pour la destruction des sociétés occidentales» sont notamment l’«immigration massive» et le «wokisme», citant un influenceur QAnon canadien obsédé par une prétendue «cabale de pédophiles sataniques».
Réponse du créateur du site au Parisien, qui l’a interrogé sur cette publication mise à l’honneur : «Ce tweet s’est retrouvé là parce que c’était l’un des premiers à relayer. Ce n’est ni un membre du collectif, ni une prise de position. Il faut arrêter de tout politiser.»
A l’autre extrême de l’échiquier politique, le compte X intitulé «Front Populaire-LFI» y est aussi allé de sa publication, où est évoquée une «mobilisation nationale pour faire grève et manifester contre la politique de Macron le 10 septembre». Mais il s’agit d’un compte d’actualité tenu par des militants, et non pas du compte officiel alimenté par le parti. Reste à savoir si cette nouvelle tentative de ranimer le mouvement des Gilets jaunes saura passer du web à la rue.
Libération