« Ce qui lui est arrivé, ça peut nous arriver » : un hommage à Moussa Sylla, mort au travail dans le parking de l’Assemblée nationale en 2022

Un hommage pour que son nom ne s’efface jamais. À deux pas de l’Assemblée nationale, sous les arbres, syndicalistes, députés, collègues et famille sont réunis mercredi 9 juillet, pour commémorer la mort d’« un homme bien ». Son nom : Moussa Sylla. Le 9 juillet 2022, il y a trois ans jour pour jour, cet agent de nettoyage employé par la société Europ Net, prestataire au Palais Bourbon, mourrait des suites d’un accident de travail.
Ce jour-là, Moussa Sylla faisait le ménage dans le parking de l’Assemblée nationale. Il se trouvait seul entre le quatrième et cinquième sous-sol de l’Assemblée lorsqu’il a perdu le contrôle de son autolaveuse. D’après les images de vidéosurveillance, la machine se serait emballée, et l’homme de 52 ans aurait été éjecté contre un mur, que sa tête aurait heurté violemment. Découvert inanimé par des déménageurs, l’employé a été pris en charge par les pompiers. Son pronostic vital engagé, le salarié est décédé trois jours plus tard à l’hôpital.
Originaire de Mauritanie, Moussa, est arrivé en France vingt ans plus tôt. Il venait d’obtenir un CDI de 25 heures par semaine chez Europ Net après des années de précarité. Un contrat qu’il complétait avec un deuxième emploi à temps partiel dans une autre entreprise. Cumulant au total 40 heures de travail par semaine pour subvenir aux besoins de sa famille restée au pays.
« Parti en pirogue de son pays, la Mauritanie, en prenant tous les dangers, il a paradoxalement trouvé la mort dans l’endroit qui est théoriquement le plus sécurisé de France », déclare Danielle Cheuton du Collectif CGT parisien du nettoyage.
Des anciennes collègues de Moussa, femmes de ménage, ont tenu à être présentes avant de repartir travailler, dans les couloirs de l’Hémicycle. Toutes émues et encore dévastées par la mort de leur collègue, elles restent soudées et fortes.
Parmi elles, Jeannette Sambo, femme de ménage depuis près de 17 ans à l’Assemblée nationale, l’une des héroïnes du film Debout les femmes, de François Ruffin. Face au plus jeune fils de Moussa Sylla, Boulaye, et du cousin du salarié, Soumare Silly, elle essuie ses larmes et scande la voix tremblante d’émotion : « ce qui est arrivé à monsieur Sylla, ça peut nous arriver aussi, c’est pour cela qu’on est là ». « Pour Europ Net, on dirait que nous sommes des animaux, mais même les animaux sont mieux traités », lance-t-elle.
La société de sous-traitance, Europ Net, a été condamnée vendredi 24 janvier par le tribunal de judiciaire de Paris à une amende de 150 000 euros pour homicide involontaire. L’entreprise s’est également vue infliger une amende de 10 000 euros pour infractions au Code du travail.
Les deux dirigeants d’Europ Net, Carlos de Moura et Stéphane Payan, poursuivis pour homicide involontaire ont en revanche été relaxés car « le caractère manifestement délibéré du manquement à leurs obligations n’est pas établi » avait jugé le tribunal. Ils doivent pour autant verser une amende de 3 000 euros chacun.
Les prévenus étaient accusés de ne pas avoir mis à disposition du travailleur une autolaveuse adaptée, ni de l’avoir correctement formé à son utilisation. Des défaillances qui constituent de graves violations au code de travail. L’enquête menée par l’inspection du travail avait démontré qu’une telle machine ne doit pas être employée sur des pentes dépassant 10 %. Or, celle sur laquelle intervenait Moussa Sylla allait au-delà des 13,8 %, un trajet dangereux sur une pente trop inclinée.
Malgré cette condamnation, la société de nettoyage Europ Net est plus florissante que jamais. Lors de la procédure judiciaire, l’Assemblée nationale a concédé à la société de nouveaux contrats, lui permettant d’avoir le monopole au Palais Bourbon. « C’est un scandale », fustige Danielle Cheuton. « Elle est où l’humanité face à la course au profit ? », interroge Manon Amirshahi, secrétaire générale CGT pour les collaborateurs parlementaires.
Cependant, selon le Collectif CGT parisien du nettoyage, Europ Net se verrait bientôt retirer la responsabilité du nettoyage du bâtiment 101 rue de l’université, destiné à l’hébergement des bureaux des députés. Une autre entreprise devrait en prendre la charge. « Cette nouvelle nous réjouit parce que c’est le résultat d’une bataille syndicale, d’une médiatisation de l’affaire, du soutien de nombreux députés et de la condamnation du 24 janvier », explique Danielle Cheutron.
La bataille n’est pour autant pas terminée. La famille de Moussa Sylla se retrouve aujourd’hui dans une situation financière délicate. Trois ans après l’accident mortel au travail du salarié et après la condamnation de la société, la famille n’a toujours pas reçu d’indemnisation.
« Moussa Sylla, vient s’ajouter à la trop longue liste des morts au travail. Ceux dont on parle peu, dont on prononce peu les noms et les prénoms, parce que souvent étrangers », déplore Manon Amirshahi. « On parle souvent d’eux comme des catastrophes alors qu’elles sont éminemment politiques ».
Le cas de Moussa Sylla reflète un cas plus général et symptomatique : la hausse des morts au travail. En 2024, 759 salariés sont morts du travail, mais « en réalité si on va chercher l’intégralité de toutes les branches professionnelles, on est à 1 380 morts en 2024, et ça s’alourdit », pointe la députée Ségolène Amiot (LFI). François Ruffin (EELV) dénonce, lui, un mépris du gouvernement, « ces morts au travail sont de la poussière d’humain qui est mise sous le tapis du gouvernement ». La semaine dernière, quatre stagiaires de moins de 18 ans sont décédés au travail.
Pour endiguer cette hécatombe, la CGT réclame l’amélioration de la prévention, le rétablissement des CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, NDLR), la pénalisation accrue des employeurs fautifs en cas d’accident grave ou mortel et des sanctions dans l’attribution des marchés publics. Le syndicat demande aussi à être reçu avec la famille par la présidente de l’Assemblée nationale et la pose d’une plaque commémorative au sein du palais Bourbon en hommage à Moussa Sylla pour que sa mort ne reste pas dans l’indifférence.
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