Interview. Prix des trains : « Le moins cher, c’est de réserver quatre mois à l’avance »

Pouvez-vous rappeler ce que l’on sait à ce jour de l’algorithme de la SNCF pour fixer les prix des billets ?
« La SNCF a mis en place le yield management (ou tarification dynamique), né dans le secteur aérien, il y a plus de 30 ans [tout comme les cars longue distance, NDLR]. L’idée, c’est de proposer plusieurs prix pour la même chose : les prix bas sont commercialisés au début, soit quatre mois avant pour la SNCF et les prix les plus élevés au dernier moment pour compenser les premiers.
Il faut imaginer que chaque train est découpé selon une quinzaine de paliers (classes tarifaires) pour la seconde classe et autant pour la première. Dès qu’un palier de prix est rempli, un nouveau s’ouvre. Les prix ne sont pas fixés à la tête du client, mais au temps. Ensuite, ces classes tarifaires démarrent plus ou moins haut en fonction de la saisonnalité, la destination et l’heure de départ. »

Benoît Rottembourg, docteur en informatique, a particulièrement suivi la politique de prix de la SNCF ces six derniers mois pour la ligne Paris-Marseille via ses propres logiciels. Photo Valentin Rugerri
Est-ce que les Ouigo fonctionnent pareil, mais en démarrant plus bas ?
« Oui, Ouigo démarre plus bas et monte de façon un peu plus stable. Les réservations ouvrent aussi plus longtemps à l’avance. En tout cas, un Ouigo sera toujours moins cher qu’un TGV classique [sans abonnement, NDLR]. »
C’est quoi l’intérêt pour une compagnie ferroviaire comme SNCF de proposer des tarifs bas et des tarifs hauts, pour le même train ?
« Si la SNCF ne faisait que des prix bas, elle ne serait pas rentable et donc serait morte économiquement [la SNCF a réalisé 1,6 milliard d’euros de bénéfices en 2024, NDLR]. C’est aussi une question politique de maintenir des billets à bas coût car il s’agit quand même d’une entreprise publique. »
« L’algorithme des prix SNCF ne s’emballe jamais »Quelle est la part de l’humain dans ce système ?
« Une centaine de personnes travaillent chez SNCF pour gérer l’algorithme et valider le changement de paliers. Ils pourraient l’automatiser, techniquement ce sont des actions assez prévisibles vu les volumes, mais sans êtres humains au pilotage cela risquerait de poser d’autres problèmes. Il faut des personnes pour surveiller le cas où l’algorithme se trompe, même si ces mêmes personnes font parfois elles-mêmes des erreurs… »
Est-ce que les prix peuvent augmenter de façon exponentielle quelques jours avant un trajet très prisé ?
« Non, ça ne peut pas arriver à la SNCF car le tarif le plus élevé est défini depuis le début, plusieurs mois avant la commercialisation du train. L’algorithme des prix SNCF ne s’emballe jamais, il ne peut pas complètement déconner. En revanche, il n’y a pas de limite officielle de prix pour définir à la base les classes tarifaires, en dehors de la pression de ce qui est acceptable par la société. »
« La SNCF évite de brader les prix »À l’inverse, quand un train ne se remplit pas comme attendu, est-ce que la SNCF baisse les prix plutôt que d’avoir des sièges vides ?
« En général ça n’arrive pas car tout est calibré sur la demande. Mais des aléas comme la météo peuvent survenir et la SNCF évite de brader les prix car c’est une méthode déconseillée. Cela crée l’idée dans la tête du client qu’il peut attendre le dernier moment pour que ça baisse encore. Si le remplissage est moins bon que prévu, la SNCF préfère passer moins rapidement aux classes tarifaires supérieures plutôt que de baisser le prix. Des calculs sont faits tous les jours par l’algorithme. »
Dans un autre cas de figure, cela arrive qu’au moment d’échanger un voyage, l’on gagne un peu d’argent en changeant de train, alors que le gain était moindre au moment de l’achat. Comment l’expliquer ?
« Cela me semble très rare, mais sur moins de 10 % des trains qui ne se remplissent pas, il peut arriver que les tarifs baissent légèrement. C’est aussi possible que face à une forte demande, la SNCF ajoute une rame, ce qui fait redémarrer les paliers. »
Auriez-vous une technique à donner à nos lecteurs pour jouer avec l’algorithme et économiser ?
« Le moins cher, c’est de réserver quatre mois à l’avance. Donc même si l’on n’est pas sûr de la date exacte de voyage, une bonne stratégie peut être de réserver deux billets à deux moments différents et d’annuler l’un des deux plus tard quand on est fixé. Deux fois 40 euros, ce sera toujours moins cher que 120 euros. L’algorithme prévoit d’ailleurs un certain taux d’annulation et remet directement ces billets en vente au palier du moment. Cela dépend de l’aversion au risque car il ne faut pas oublier d’annuler un billet. La limite que je vois est éthique, car une personne aisée pourrait prendre les places les moins chères alors qu’elle n’est pas dans le besoin. »
« On pourrait interdire aux entreprises publiques de faire des systèmes de prix aussi sophistiqués »Est-ce que les cartes avantage et autres réductions SNCF sont vraiment avantageuses pour épargner ?
« Oui, elles sont vite amorties, mais elles ne fonctionnent pas sur tous les trains et globalement elles n’avantagent pas les gens qui ont des mouvements conventionnels. Les étudiants qui ont TGV Max, par exemple, ne peuvent pas toujours l’utiliser. »
Vous comprenez que ce système avec 30 paliers différents crée de la défiance chez le consommateur qui ne sait pas forcément pourquoi il paie tel prix ?
« Oui, 30 classes c’est beaucoup. Ils pourraient en faire trois pour la seconde et trois pour la première avec un prix early booking, un prix médian et un prix last minute. Ce serait plus simple. On pourrait interdire aux entreprises publiques de faire des systèmes de prix aussi sophistiqués. Cela économiserait de la main-d’œuvre aussi. Le système actuel est peut-être trop opaque. En revanche, quand ils disent qu’il reste "10 places à tel prix", c’est vrai. »
Le Bien Public