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« Le “CDI senior” ne pourra pas déclencher beaucoup d’embauches » : trois questions sur le « contrat de valorisation de l’expérience »

« Le “CDI senior” ne pourra pas déclencher beaucoup d’embauches » : trois questions sur le « contrat de valorisation de l’expérience »
La ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet à l’Assemblée nationale, le 3 juillet 2025.

La ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet à l’Assemblée nationale, le 3 juillet 2025. BASTIEN OHIER/HANS LUCAS VIA AFP

Comment lever les freins à l’emploi des seniors ? Transposant des accords conclus entre les partenaires sociaux fin 2024, les députés ont approuvé jeudi 3 juillet plusieurs mesures censées y contribuer. Parmi les nouveautés, un « contrat de valorisation de l’expérience », sorte de « CDI senior », réservé aux personnes de plus de 60 ans au chômage, qui sera mis en place à titre expérimental durant cinq ans une fois la loi promulguée.

Avec ce contrat, porté à l’origine par le patronat, les employeurs pourront décider de mettre en retraite un salarié lorsqu’il atteint l’âge du taux plein (contre 70 ans aujourd’hui), tout en bénéficiant d’exonérations de cotisations au moment de cette mise à la retraite. Trois questions à Annie Jolivet, économiste au Centre d’Etudes de l’Emploi et du CRTD du Conservatoire national des Arts et Métiers et chercheuse associée à l’Institut de Recherches économiques et sociales.

Ce « contrat de valorisation de l’expérience » vous semble-t-il être une piste intéressante pour améliorer l’emploi des seniors ?

Annie Jolivet Cela va sans doute aider très marginalement, avec un effet d’aubaine. Des chômeurs qui auraient pu signer un CDI normal risquent de se voir proposer ce contrat. L’incitation pour l’employeur tient à une exonération de cotisations sociales sur l’indemnité de départ à la retraite de la personne embauchée et à la possibilité de savoir à l’avance à quel âge il pourrait mettre cette personne à la retraite. Je ne vois pas comment cela pourrait déclencher beaucoup d’embauches. Si ce qui empêche de recruter un.e candidat.e plus âgé.e est, par exemple, le manque supposé de compétences, comment cette incitation pourrait-elle régler quoi que ce soit ?

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On peut aussi s’interroger sur le bien-fondé de mettre à la retraite dès que possible des salariés qui ont pu connaître des carrières hachées, avec des périodes de chômage, et qui auront donc des pensions de retraite plus faibles. Je suis par ailleurs assez surprise qu’il faille apporter la preuve de son âge de la retraite au taux plein pour conclure un contrat. Aucun autre salarié n’a d’obligation de révéler cette information. C’est d’ailleurs postuler que la situation de la personne ne changera pas : que se passe-t-il en cas de veuvage, si sa situation financière devient difficile, si elle souhaite finalement partir plus tard ? Une fois donnée cette information, n’y aurait-il plus de possibilité de retarder son départ ?

Ce « CDI senior » constitue un retour en arrière sur l’initiative du départ en retraite donnée aux salariés : aujourd’hui, un employeur peut demander à un salarié qui a atteint 63,5 ans s’il souhaite partir à la retraite. Si le salarié refuse, il ne peut pas être mis à la retraite. Si son contrat est rompu, c’est un licenciement. Là, ce principe est inversé.

Devant l’Assemblée nationale, la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet a rappelé que le taux d’emploi des plus de 60 ans est de 38 % en France, contre 70 % en Suède. Comment y remédier ?

Le taux d’emploi des seniors a doublé depuis la fin des années 1990, sous l’effet des réformes des retraites, mais pas seulement. Le taux d’emploi des 55-59 ans en France (77 % en 2023) est supérieur à la moyenne européenne. L’attention s’est déplacée et se concentre surtout sur le taux d’emploi des 60-64 ans (38,9 %), qui est, là, inférieur à la moyenne européenne, même s’il a lui aussi fortement augmenté.

L’exemple suédois est souvent mis en avant. C’est oublier qu’il existe, en Suède, des restrictions à la possibilité de licencier les personnes les plus anciennes, donc souvent plus âgées. En France, personne ne veut plus contraindre les employeurs dans leurs suppressions d’emploi.

Les blocages à l’emploi des seniors sont notamment les stéréotypes liés à l’âge (passé un certain âge, on serait moins productif, moins capable de se former, …), mais aussi des processus de sélection qui conduisent à écarter volontairement ou non les candidats au-delà d’un certain âge, par exemple à travers des critères de maîtrise des nouvelles technologies. Il n’y a pas de solution miracle. Il faut mener des réflexions de fond sur ces sujets, ainsi que sur les modalités de formation en situation de travail. C’est évidemment moins simple que de proposer un dispositif cadré.

Le texte voté à l’Assemblée prévoit aussi l’obligation d’une négociation au moins tous les quatre ans autour de l’emploi des salariés expérimentés, dans les branches professionnelles et dans les entreprises de plus de 300 salariés. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne chose. J’y vois une limite : centrer les discussions sur les « salariés expérimentés », autrement dit les « seniors », en se privant d’une vision plus large. On met trop souvent en place des mesures spécifiques fondées sur des seuils d’âge qui n’ont pas beaucoup de sens. Or il y a une incohérence entre le fait de dire « on est senior à 55 ans », par exemple, et l’allongement progressif de la vie professionnelle avec le décalage de l’âge de la retraite. Il n’existe pas un âge seuil pertinent dans toutes les situations, pour tous les secteurs d’activité et pour toutes les entreprises. Cette segmentation par l’âge est très forte en France. Les négociations pourront être intéressantes à condition que les acteurs soient prêts à se remettre en question sur ce point.

Propos recueillis par Agathe Ranc

Le Nouvel Observateur

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