Pour compenser son désengagement, l’État table-t-il sur un endettement de la SNCF ?

C’est une des avancées de la conférence de financement Ambition France transports (AFT). Mercredi 9 juillet, le ministre des Transports, Philippe Tabarot, a annoncé qu’un futur projet de loi « fixera dans le marbre de la loi l’objectif de 1,5 milliard d’euro supplémentaire » dans la régénération du réseau « à compter de 2028 ».
« Une décision historique qui bénéficiera directement à nos clients, aux territoires et à l’industrie ferroviaire », a salué Jean-Pierre Farandou, auprès de l’AFP. Une victoire personnelle, pour l’actuel PDG du groupe SNCF, qui alerte depuis au moins 2022 sur les conséquences de la dette grise dans les infrastructures ferroviaires existantes.
Pour rappel, selon la SNCF, à l’horizon 2028-2030, 4 000 kilomètres de lignes « pourraient être touchés par un effondrement irréversible de la qualité de service », si aucun investissement supplémentaire n’était fléché. Pour éviter une faillite du ferroviaire, dès 2023, l’État avait fixé à SNCF Réseau l’objectif d’accroître de 1,5 milliard d’euros, soit 4,5 milliards au total, le montant annuel des investissements pour la régénération du réseau.
Depuis le ministère des Transports, Philippe Tabarot a donc présenté trois leviers pour atteindre ces objectifs. La SNCF, via sa contribution au fonds de concours de régénération du réseau, devra apporter 500 millions supplémentaires, le maximum que le groupe dit pouvoir supporter.
Le secteur privé, ensuite, sera sollicité via des Partenariats-public-privé. « Dans un tel schéma, les investissements consentis par des acteurs privés seraient remboursés ultérieurement par des hausses ciblées de péages sur les axes ayant fait l’objet des travaux de modernisation ou par des loyers versés par SNCF Réseau », souligne le rapport d’Ambition France transports.
Par ce biais, le gestionnaire des infrastructures estime pouvoir dégager environ 200 millions annuellement pour des projets de modernisation sur la période 2028-2032. Enfin, l’État aura recours des certificats d’économie d’énergie (CEE) pour un montant avoisinant les 300 millions d’euros, a annoncé Philippe Tabarot.
Reste donc, sur le papier, 500 millions d’euros à flécher d’ici la pleine péréquation des 2,5 milliards d’euros que l’État entend opérer des futures concessions autoroutières en direction des mobilités existantes.
« Les besoins de financements du ferroviaire du quotidien ne peuvent plus être niés. Ce consensus est une grande avancée. Notre réseau accuse un trop gros retard. Une prise de conscience s’est opérée : la voiture électrique n’est pas l’alpha et l’oméga des futurs déplacements décarbonés », se félicite Jean-Luc Gibelin, membre de l’atelier ferroviaire d’AFT. Le vice-président PCF de la région Occitanie demande désormais la « concrétisation » des mesures présentes dans le rapport de la conférence de financement, lors des annonces budgétaires de François Bayrou prévues mardi 15 juillet.
Le rapport réclame notamment, le fléchage de la suppression progressive du taux réduit de TICPE dont bénéficient les transporteurs routiers de marchandises, prévue en 2030 (1,2 milliard d’euros), en direction de l’ensemble des mobilités. Le refléchage d’une plus grande part de la taxe sur les billets d’avion (TSBA) en direction des transports. Ou encore la création d’une taxe sur la livraison des colis à domicile en zone urbaine.
Cette dernière mesure, poussée par la commission transport du PCF, durant la conférence de financement, pourrait dégager de 50 à 200 millions. « Il est regrettable que la taxe sur les bureaux, qui a fait ses preuves pour les métros du Grand Paris express, et qui pouvait rapporter 2 milliards par an n’ait pas été retenue par la conférence de financement », déplore Jacques Baudrier, administrateur PCF à Ile-de-France Mobilités.
Par ailleurs, par la voix de Philippe Tabarot, l’exécutif a d’ores et déjà fermé la porte à la proposition d’une taxe temporaire sur les billets de train, qui ne faisait pas l’unanimité au sein de la conférence de financement. Exit aussi une plus juste mise à contribution des concurrents de la SNCF, qui bénéficient de rabais sur les péages ferroviaires.
De fait, sans nouveaux fléchages, la SNCF pourrait être contrainte à s’endetter, pour maintenir en l’état le réseau existant. Le rapport d’Ambition France Transports suggère d’ailleurs à l’entreprise ferroviaire de recourir à l’emprunt « de manière ponctuelle et limitée pour ne pas dégrader les ratios d’endettement ».
Une perspective qui inquiète la CGT Cheminots. « La SNCF et les cheminots seront mis à contribution par une productivité accrue qui s’accompagne d’un recul des droits sociaux », mesure Romain Pitelet. Pour le secrétaire adjoint de la fédération cheminote, « la SNCF devra dégager du cash pour compenser un nouveau désengagement de l’État ». Selon le cégétiste, « l’accroissement de la dette peut servir de prétexte à une nouvelle réforme ferroviaire ». Et d’ajouter que « la réforme de 2018 qui acte l’ouverture à la concurrence et l’éclatement de la SNCF s’est produite grâce à un chantage à la dette, dont l’État, pourtant donneur d’ordre, a absorbé une partie. »
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