Préserver nos océans, est-ce la mer à boire?

Agnès Farrugia et Karine Wenger Publié le 07/06/2025 à 09:50, mis à jour le 07/06/2025 à 10:02
Pendant cinq jours, les acteurs les plus influents du monde se réunissent à Nice sous la bannière UNOC3 et devraient, ensemble, se pencher sur les engagements à prendre – et à respecter – pour protéger nos mers et océans. On ne le répète jamais assez, l’eau salée représente 71% de la surface du globe, 97% de l’eau présente sur terre et fournit 50% de l’oxygène que nous respirons. Alors oui, pour sûr, il est vital de s’en préoccuper et de tout mettre en œuvre pour préserver la biodiversité que cette eau abrite. L’activité de l’homme sur terre n’est pas sans impacter nos mers et océans, on le sait. Lors de ce sommet international, de nombreuses solutions seront proposées pour parvenir à limiter les dégâts que l’on constate chaque jour davantage. Nous vous proposons celles émanant de pépites du territoire mais aussi de belles idées venues d’ailleurs qui devraient prochainement être mises en place dans nos eaux méditerranéennes.
Les pneus qui s’usent. Le lave-glace pour nettoyer votre pare-brise qui coule sur la chaussée. Les fuites d’hydrocarbure. Le détergent utilisé pour nettoyer un graffiti ou une voirie. Le mégot de cigarette, le chewing-gum ou encore l’emballage plastique jetés négligemment à terre… Vous êtes-vous déjà demandé où partent tous ces déchets?
Romain Garcin, cofondateur et dirigeant de la startup dracénoise Vertuoso, lui, a la réponse. "Lorsqu’il pleut, l’eau lave les rues et les déchets sont poussés vers les avaloirs et exutoires des réseaux d’eaux pluviales avant de se retrouver à la mer, se désole-t-il. 80% de la pollution marine provient de l’activité terrestre; c’est 100% pour les lacs et les rivières. Chaque année, 600.000 tonnes de plastique sont rejetées dans Méditerranée."
Des polluants dans l’anthropocèneD’où sa solution destinée aux collectivités locales mais aussi aux entreprises : deux systèmes de filtration standard, l’un s’adaptant à toutes les voiries et tous les cadres en fonte pour les avaloirs, et le second pour les exutoires qui convient à chaque situation de sortie de réseau. Collectant les macrodéchets, les particules fines et les hydrocarbures, ils sont sans risque d’obstruction ni de saturation du réseau pluvial en amont. "Le système en Inox est durable, low tech et ne nécessite pas un entretien régulier: pas plus de deux à quatre par an pour le vider. Les hydrocurages ne sont plus nécessaires, estime le startupper qui ajoute. Nous sommes dans l’ère anthropocène [époque géologique qui a débuté lorsque l’influence de l’être humain sur la géologie et les écosystèmes est devenue significative à l’échelle de l’histoire de la Terre, ndlr] et nous avons créé notre strate géologique dans laquelle on trouve nos polluants!" La solution de Vertuoso qui est accélérée au Village by CA PCA à Sophia Antipolis est déjà opérationnelle dans plusieurs villes: Sainte-Maxime, Aix, Bobigny et "on devrait bientôt installer une voirie complète à Lille ainsi qu’un site industriel et un autre protégé. On est aussi un bureau d’études et nous pouvons ainsi expliquer à nos clients le nombre de systèmes de filtration à installer et leur positionnement."
Romain Garcin a un autre motif de satisfaction. En l'occurrence, les trois récompenses décrochées à la dernière Foire de Paris: le Prix de la Mairie de Paris, la médaille d’argent des Sceau des Nautes et surtout l’or au Concours Lépine. Le startupper qui prévoit d’ajouter des capteurs sur les avaloirs afin de déterminer quand venir collecter les déchets négocie actuellement un partenariat avec un distributeur de matériaux de travaux publics. "Ce qui nous permettrait de commercialiser un kit complet prêt-à-poser" et encore mieux protéger la nature.
Le LiDAR est une technologie de télédétection utilisant des faisceaux laser que l’on retrouve par exemple dans les lecteurs de code-barres. En fournissant des données 3D, le LiDAR constitue un outil clé dans la cartographie, l’archéologie mais aussi la surveillance environnementale. Ce qu’ont bien compris Vadim Pelevin, océanographe russe expérimenté, et son équipe de chercheurs qui ont développé au sein de LIFeLiDAR - la société créée à Perpignan en 2023 et installée à Sophia depuis 2024- leur propre LiDAR à fluorescence induite par laser. Traduction: les particules en suspension dans l’eau renvoient chacune au LiDAR un type de signal lumineux particulier qui est ensuite analysé par des algorithmes et "on peut détecter le type de matière qu’il y a dans l’eau sans faire de prélèvements: polluants végétaux, organiques tels que les produits pétroliers (en surface et immergés), microplastiques, sédiments en suspension... On obtient une évaluation en temps réel, en haute résolution et en continu, des paramètres clés de la qualité de l’eau", explique Vadim Pelevin.
Soutenue par l’Ademe, la startup réalisera cet été des tests terrain sur la couche superficielle de l’océan – c’est-à-dire jusqu’à dix mètres de profondeur – et "on travaille sur un modèle allant jusqu’à 60 mètres de profondeur qui devrait être lancé d’ici la fin de l’année".
LIFeLiDAR cible trois types de clients: les autorités de l’eau qui doivent en contrôler en continu la qualité comme les stations d’épuration ou les ports; l’industrie pétrolière et la communauté scientifique. La startup niçoise développe en parallèle deux autres projets. Le premier est lauréat d’Innov Eau de France 2030. Réalisé en partenariat avec Vortex.io et Magellium, il a pour objectif de mettre en place un observatoire de la qualité des eaux continentales. "On pourra installer nos microcapteurs sur des ponts et monitorer la qualité de l’eau en continu." Les premiers tests menés cet automne devraient conduire à un prototype au printemps prochain. Enfin le dernier projet, lui, concerne les grands fonds marins. Subsea Lif développé en partenariat avec le bureau d’études d’équipement aquatique et sous-marin marseillais Adequate Tools. Il s’agit d’un microcapteur LiDAR qui, positionné sur un engin sous-marin télécommandé, pourra détecter jusqu’à 6.000 mètres de profondeur les pollutions issues des pipelines ou des stations de forage.
Utiliser le vivant pour surveiller la qualité de l’eau, l’idée paraît simple mais a été extrêmement complexe à mettre en place. C’est au terme de vingt années de recherche et de développement que le CNRS et l’Université de Bordeaux sont parvenus à cette prouesse technologique: équiper les mollusques de capteurs pour surveiller la qualité de l’eau en continu. MolluSCAN-eye est le résultat de ces années de recherche. La startup née à Bordeaux il y a deux ans est cofondée par Ludovic Quintault et Jean-Charles Massabuau. Ils sont aujourd’hui trois collaborateurs à distiller leur solution aux quatre coins du globe, notamment bientôt du côté de Golfe-Juan.
"Trop de catastrophes environnementales ont malheureusement mis en évidence le manque de contrôle de l’impact humain sur la qualité des eaux." C’est le président de MolluSCAN-eye qui le dit, Ludovic Quintault, sensible à l’amélioration de la qualité des eaux pour la préservation de la santé et de l’environnement. La cible de la startup? Les ports, les usines de traitement des eaux, les fermes aquacoles, les ostréiculteurs...
Sentinelles vivantes" Nous installons des capteurs sur les huîtres, les moules et autres corbiculas, poursuit-il, et ce, à l’extérieur des coquilles pour ne pas perturber le mollusque dans son évolution, car tout se passe en milieu naturel." Des électroaimants ultralégers sont reliés à un boîtier en surface, lui-même relié à un réseau mobile qui analyse en direct et en continu la qualité de l’eau. Une alerte par mail ou SMS indique si un épisode de pollution est en cours. "Nous sommes passés de la recherche fondamentale à l’application concrète, explique, enjoué, Ludovic Quintault. C’est une solution ultraprécise qui évite à des chercheurs d’aller quotidiennement réaliser des prélèvements qui ne seront analysés que plusieurs jours après. On parle ici d’une véritable anticipation sur d’éventuelles contaminations et autres pics de pollutions."
25.000 euros la solution avec un abonnement mensuel, la solution serait vite rentable. Elle est déjà opérationnelle dans nombre de ports, en France mais aussi à l’étranger (Slovénie...) et devrait prochainement arriver dans le port de Golfe-Juan. En fonds propres depuis les premiers instants, MolluSCAN-eye a déjà dégagé 100.000 euros de chiffre d’affaires l’année dernière, un chiffre qui devrait être multiplié par deux ou trois cette année. "Nous devrions lever des fonds prochainement, pour faire entrer au capital un ou des investisseurs de l’économie bleue, pour accompagner notre croissance."
Impossible de ne pas parler de la solution mise en place par Klearia, deeptech installée à Nice qui travaille main dans la main avec l’Imredd. Son CEO, Clément Nanteuil, est le pro du mini laboratoire, cette petite technologie qui permet d’obtenir une information choisie en un minimum d’espace et de temps. Comme c’est le cas par exemple pour un diagnostic de grossesse, de Covid, de taux de sucre, etc. Lui, a adapté la technologie à l’eau. Et surtout à l’échelle industrielle, avec un "test" qui n’est pas jetable, appelé PANDa.
Ce mini-laboratoire (de la taille d’une petite cabine d’essayage), détecte immédiatement une quinzaine de polluants, et aide à la prise de décisions éclairées pour optimiser la gestion des ressources en eau. "Nous rendons visible ce qui est invisible car nous nous sentons concernés par la concentration en métaux lourds, pesticides et polluants éternels dans les eaux que nous consommons, qui sont impliqués dans de certains cancers, infertilité, etc. Nous voulons être une entreprise à impact." Sa solution cible les grands centres de traitement des eaux, publics ou privés, soit, des stations d’assainissement ou de potabilisation.
Klearia est née en 2012, la solution PANDa est brevetée, labellisée Solar Impulse Foundation, elle a déjà obtenu deux millions d’euros de subvention dès son lancement et Klearia, après avoir trouvé un levier de croissance dans la cosmétique (fabrication de parfums sans alcool pour de grandes marques grâce à la nano-émulsion), devrait atteindre l’équilibre cette année. Huit collaborateurs œuvrent à la diffusion de la solution PANDa, en projet pilote avec Suez depuis 2022, et sont en contact avec les trois grands groupes français de gestion de l’eau. La deeptech, en passe de passer à l’échelle, entend protéger la santé et l’environnement avec son innovation de rupture. Son chiffre d’affaires a doublé en un an et devrait être multiplié par trois au prochain exercice.
Depuis Mougins, Lucien Tanghe a créé Reshell, un dispositif pour lutter contre l’acidification de nos mers et océans. "Les eaux marines sont équipées d’une peau, une fine pellicule de 0,03 mm qui absorbe le CO2 que nous rejetons. Sauf que cette peau absorbe bien trop de dioxyde de carbone, ce qui augmente l’acidité de l’eau. Tout ce qui vit sous l’eau est affecté par cette acidité. Pour lutter contre ce phénomène, le carbonate de calcium est un excellent procédé naturel et les coquilles d’huîtres en sont constituées à 96%."
"Rendre à César..."L’idée de Reshell est de rendre à la mer ce qu’elle a contribué à fabriquer. En France, on produit plus de 130.000 tonnes d’huîtres chaque année. Et les coquilles d’huîtres sont des déchets difficilement recyclables. D’où l’intervention de Lucien Tanghe qui souhaite collecter ces coquilles chez les écaillers, restaurateurs et autres établissements vendeurs, pour en faire des gabions de 16 m3 à immerger à 10 mètres de profondeur, à 50 mètres du littoral. "Évidemment, cette solution, dont le coût est estimé à 1 euro par m3, ne va pas réduire de suite l’acidité de la mer. Mais petit à petit, et espace après espace, on peut faire revivre nos mers et océans, et nous-mêmes par extension."
Reshell est en pourparlers avec plusieurs communes du département pour tester sa solution. Ses équipes ont déjà collecté trois tonnes de coquilles d’huîtres et visent 50 tonnes cette année.
Var-Matin