Qui sont les cinq sauveurs de la faïencerie de Varages?

Les chances étaient minimes de voir leurs routes se croiser à Varages. Pourtant, ces cinq entrepreneurs engagés sur le territoire varois s’astreignent depuis un mois à des visioconférences régulières. Michaël Bruel, Benoît Adet, Christian Meli, Nicolas Plazanet et Philippe Rivière à la manière de cinq mousquetaires se sont tapés dans la main au printemps dernier, après avoir visité la faïencerie de Varages, en pleine procédure de liquidation, pour ressusciter cette activité tricentenaire.
C’était pourtant la troisième fois que la manufacture, qui ne comptait plus qu’une poignée de salariés, était placée par le tribunal de commerce en liquidation judiciaire. Le village du Haut-Var avait auparavant connu son âge d’or, avec quatre usines et plus de 300 ouvriers occupés à fabriquer cette vaisselle à la renommée nationale, à partir de la terre rouge locale, qui permettait de créer le biscuit, ensuite émaillé... "Mais les machines à fabriquer le biscuit ont été vendues lors de la précédente liquidation, et cette partie du processus industriel externalisée au Portugal", résume Quentin Cressend, l’administrateur judiciaire en charge de la liquidation prononcée en février dernier. Le Dracénois a pourtant immédiatement cru en un projet de reprise. "C’est lui qui m’a convaincu. J’avoue moi-même je ne pensais pas qu’on puisse relancer l’activité", se souvient le maire Guy Partage, qui avait demandé au conseil municipal l’autorisation de formuler une offre de reprise au nom de la commune, pour un montant de 10.000 euros, avec l’idée d’installer dans le lieu des artisans faïenciers. Et aussi par respect pour le combat conduit pendant quinze ans par les salariés qui s’étaient constitués en coopérative, après la deuxième liquidation, afin de préserver leur outil de travail.
Convaincu par le liquidateur de trouver des repreneurs, l’édile lui demandait alors de communiquer pour tenter de trouver des candidats. "Je reconnais, Var-matin nous a aidés! Au début je n’étais pas favorable à ce que votre collègue parle de la liquidation de la faïencerie, mais c’est comme ça que d’autres médias s’y sont intéressés. Et à chaque reportage qui sortait, j’avais des appels de gens pour qu’on continue l’activité!" La machine était lancée. Avec un véritable effet domino. Car c’est en lisant le journal, un mois plus tard, que Nicolas Plazanet, l’un des cinq investisseurs aujourd’hui engagés dans l’aventure, s’est saisi du dossier. Il faut dire qu’à titre personnel, il avait lui-même sauvé de la fermeture il y a quelques années, le musée de la Tartugo à Carnoules. Et surtout ce directeur de l’association Forêt modèle de Provence, venait de rencontrer à l’occasion d’une visio sur la filière liège, l’entrepreneur Philippe Rivière. A la tête du groupe lyonnais ACI, le chef d’entreprise a déjà investi dans une quarantaine de PME réparties dans tout l’Hexagone – dont les casques Naca à Signes –, pour préserver les savoir-faire industriels et reconstruire des filières. Et s’intéresse de près au liège, dans le cadre de l’un de ses projets. Nicolais Plazanet lui a parlé de la faïencerie. "Après trois jours de réflexion il m’a dit OK, on y va."
En parallèle Quentin Cressend présentait le dossier à l’un de ses clients: les nougats Jonquier, qu’il accompagne dans le cadre de leur plan de sauvegarde. Le point commun? Jonquier aussi porte un savoir-faire depuis 140 ans, et a su traverser l’évolution des modes de consommation tout en le préservant. Benoît Adet, son dirigeant, contactait alors le maire de Varages, qui lui présentait un quatrième protagoniste. Michaël Bruel, à la tête d’un groupe de sociétés spécialisées dans le conseil technique à la construction à Varages, habite à quelques mètres de la faïencerie, avenue du général de Gaulle. "Un matin en venant chercher un colis, Adeline, la salariée que nous avons d’ailleurs réembauchée, me dit que ça ferme. Je suis aussitôt allé voir le maire, pour qu’on fasse quelque chose", se souvient le chef d’entreprise également président du chantier d’insertion Résine média, à Draguignan. Il embarque au passage Christian Meli, dont la société de construction à partir de conteneurs maritimes, Maison eco 3, est un partenaire régulier. Le quintette était formé, autour d’un projet commun: relancer la manufacture.
Si depuis le 4 juillet – soit deux semaines à peine après la validation de leur offre par le tribunal –, la faïencerie a rouvert, c’est pour l’instant afin de vendre le stock "pour se constituer une trésorerie, et surtout ne pas rater la saison estivale, ou laisser trop longtemps s’installer l’image d’une activité à l’arrêt", résument d’une même voix les cinq associés, qui ont tous contribué à hauteur de 5.000 euros au capital de 25.000 euros dans la SAS Nouvelle faïencerie, tout en alimentant la trésorerie, soit une offre globale de 55.000 euros.
Leur volonté est de réinternaliser la fabrication du biscuit, en investissant dans de nouvelles machines, pour éviter les avances de trésorerie qu’engendre la commande de ce travail à un sous-traitant. "Dabord il faut réfléchir à comment réorganiser l’outil industriel", souligne Philippe Rivière, surtout préoccupé par l’état des locaux, propriété de la Communauté de communes, et qu’il va falloir rénover. Mais dès la rentrée de septembre, l’idée, en s’appuyant sur l’expertise des anciens salariés, toujours en soutien de l’aventure, est de relancer l’émaillage du biscuit encore en stock, avant d’envisager de recruter. "Pourquoi pas créer un centre de formation, je l’ai déjà fait lors de rachats de fonderies", poursuit le président d’ACI. De son côté Michaël Bruel, désigné président, mise sur la reconstruction de la marque, en préservant la gamme de 15 couleurs, mais aussi en envisageant des séries limitées et en "travaillant notre politique de pricing." L’expertise des nougats Jonquier, en matière de réseau de distribution, peut aussi permettre de diffuser la marque, au-delà de Varages. Et dès le 10 août, jour de la célébration de 330 ans de faïencerie dans le village, en présence des cinq repreneurs, sera lancée une boutique éphémère installée dans un conteneur maritime et destinée à parcourir la région.
Var-Matin