Rappels de produits alimentaires : « L’information n’atteint pas assez le consommateur »

Plus de 40 lots ont fait l’objet d’un rappel entre lundi et mardi en raison de suspicion de contamination, selon le site gouvernemental Rappel Conso. JIMMY BEUNARDEAU / HANS LUCAS VIA AFP
Des rappels massifs de fromages ont été engagés par précaution en août après l’établissement d’un lien avec des cas de listériose identifiés par les autorités sanitaires. Si « aucune contamination des produits par la Listeria », la bactérie en cause, n’a été détectée, comme l’assure ce mardi 13 août le ministère de l’Agriculture, des associations ont dénoncé le temps de réaction entre la première détection le 12 juin de la bactérie et le rappel massif des produits lancé en début de semaine.
Pour Camille Dorioz, directeur des campagnes pour l’ONG de défense des consommateurs Foodwatch, la chaîne de rappel et sa communication sont à revoir.
Comment se déroulent la détection et le rappel d’un produit ?Il faut d’emblée souligner que les autorités sanitaires n’ont pas les moyens de contrôler tous les produits, alors les entreprises et les distributeurs ont l’obligation de s’autocontrôler et de prévenir l’Etat lorsqu’elle trouve un défaut ou une contamination. Les entreprises peuvent donc elles-mêmes procéder à un rappel mais, c’est là le premier défaut de ce système, puisqu’elles sont juges et parties, en contrôlant leurs produits et en se sanctionner d’elles-mêmes d’un rappel. Cela peut engendrer des cas de conscience face au coût économique que cela représente. En juin, lors du premier rappel des fromages de Chavegrand, c’est un distributeur, Carrefour, qui avait procédé à un signalement. Pour le rappel d’août, ce sont des hôpitaux qui, à travers la France, ont détecté des cas de listériose et les ont analysés pour savoir s’ils venaient d’une même souche. Une enquête de Santé publique France a ensuite permis de remonter le fil de l’alimentation pour retrouver les produits en cause. Et puis évidemment, le consommateur peut lui-même faire un signalement.
Comment les consommateurs peuvent s’informer de ces rappels ?Avez-vous déjà, dans votre vie, rapporté un produit qui faisait l’objet d’un rappel ? Moi non, et je suis pourtant tout ça de très près ! Il est certain qu’avec plus de 2000 rappels alimentaires par an, j’ai déjà consommé un produit rappelé. Le problème, c’est que l’information n’atteint pas assez le consommateur, et les marques et distributeurs n’aident pas. La communication ne fonctionne vraiment que lors des cas de scandales sanitaires, grâce à la vague médiatique, qui permet en plus aux consommateurs de découvrir le site Rappel Conso. Bien sûr certains magasins jouent le jeu en accrochant des affichettes à côté des produits rappelés, mais d’autres les consignent dans un cahier à l’accueil que personne n’ira feuilleter. Finalement pour que ça marche, il faudrait qu’un consommateur vérifie sur Rappel Conso tous ses produits avant de les mettre au frigo, mais ce n’est pas entendable. Sachant qu’une part importante des produits rappelés sont des produits transformés qui n’ont pas vocation à être conservés longtemps, le temps que la personne soit au courant d’un rappel, qu’elle ait vu l’affichette lors de ses prochaines courses, elle l’aura déjà consommé. Aujourd’hui, on demande aux gens d’être proactifs, alors que ça ne devrait pas être de leur responsabilité, c’est celle de celles de l’Etat et de ceux qui produisent et mettent les produits sur le marché.
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Les distributeurs et les marques doivent communiquer davantage. On peut imaginer qu’ils relaient les rappels sur leurs réseaux sociaux, mais on voit bien que cela leur poserait un problème de publicité. Je pense aussi à un système similaire à ce qui se fait dans d’autres pays européens comme la Belgique, l’Irlande ou l’Ecosse, où les consommateurs peuvent s’inscrire sur des sites de l’Etat pour être prévenu par mail ou SMS en cas de rappels. Il est nécessaire d’aller chercher directement le consommateur pour le prévenir. C’est un enjeu d’intérêt général et de santé publique, et il est primordial que cela passe devant les intérêts économiques car avec de cas comme la Listeria, les conséquences peuvent être graves pour les publics sensibles.
Dans un communiqué sur le rappel des lots de fromage, vous avez estimé que « comme d’habitude, ces rappels surviennent trop tard quand le mal est fait ». Pourquoi ?On a toujours le même scénario : quand je vois un rappel le 3 janvier pour un lot de 20 bûches de Noël, je me dis « c’est bien pratique, elles ont été mangées ». Evidemment je n’ai pas de preuve qu’il y avait une mauvaise intention, mais je ne peux pas m’empêcher d’y penser et le consommateur non plus. Dans le cas de Chavegrand, il y avait déjà eu un problème en juin. Et je pense au scandale Kinder qui a touché Ferrero il y a trois ans : le rappel a eu lieu juste avant Pâques, mais quand on a gratté, on s’est rendu compte que les premières alertes des autorités sanitaires dataient de décembre. A partir de là, évidemment, on a l’impression que les industriels ne jouent pas le jeu, et cela entraîne une perte de confiance des consommateurs.
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A Foodwatch, nous demandons une obligation de leur part à être plus proactifs dans leur communication et cela peut passer par des sanctions financières. C’est un autre problème du système actuel : si demain une entreprise rappelle un produit, elle ne sera pas nécessairement sanctionnée pour avoir quelque chose de potentiellement dangereux sur le marché. Il n’y a pas non plus de punition si vous rappelez un produit trop tard. Imaginons une amende extrêmement forte, par exemple, 1 million d’euros par jour entre le moment où l’entreprise a le résultat des analyses montrant une contamination d’un produit, et le moment où elle a fait le rappel. Je pense que ça irait beaucoup plus vite. L’entreprise doit être sanctionnée dès lors qu’elle n’a fait pas tout ce qui était en son pouvoir pour éviter de mettre ces produits sur le marché. Et pour ceux qui tentent de cacher ou retarder un rappel, de mettre la poussière sous le tapis comme c’est malheureusement parfois le cas dans ces affaires, la sanction doit être tellement forte que vous ne le ferez plus jamais. Aujourd’hui, ces sanctions n’existent pas.
Propos recueillis par Marie Fiachetti
Le Nouvel Observateur