Taux de pauvreté record en 2023, inégalités en forte hausse : les derniers chiffres de l’Insee sont « alarmants » mais loin d’être « étonnants »

Un centre de distribution alimentaire des Restos du Cœur, à Nice, dans le sud-est de la France, le 13 mars 2025. SYSPEO/SIPA
Du jamais vu depuis au moins trente ans : le taux de pauvreté a battu un record en 2023 en France métropolitaine où les inégalités se creusent selon l’Insee. Des chiffres loin d’être « étonnants » pour les associations, qui exhortent l’Etat à passer aux actes.
Cette étude annuelle de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur la pauvreté, parue ce lundi 7 juillet, ne comprend pas les habitants des départements d’outre-mer, les personnes sans abri et les personnes vivant en institution. La dernière enquête menée sur la totalité de la population française avait estimé à 11,2 millions le nombre de personnes en situation de pauvreté en 2021. « Le Nouvel Obs » fait le point sur les enseignements de cette dernière étude.
• 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté en 2023Entre 2022 et 2023, le taux de pauvreté a augmenté de 0,9 point, passant de 14,4 % à 15,4 %, précise l’Insee dans son étude annuelle. Il s’agit du taux le plus élevé depuis le lancement de l’indicateur Insee en 1996.
Concrètement, 9,8 millions de personnes se trouvaient en 2023 en situation de pauvreté monétaire, c’est-à-dire qu’elles disposaient de revenus mensuels inférieurs au seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, soit 1 288 euros pour une personne seule. En un an, 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté.
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« C’est un niveau inégalé depuis près de 30 ans » relève auprès de l’AFP Michel Duée, chef du département ressources et conditions de vie des ménages à l’Insee. « Si on veut remonter encore plus loin, il faut revenir au début des années 1970 pour avoir des niveaux de pauvreté à peu près comparables ».
« Cette hausse s’explique par l’arrêt des aides exceptionnelles, notamment l’indemnité inflation et la prime exceptionnelle de rentrée, qui avaient été mises en place en 2022 pour soutenir le pouvoir d’achat », ajoute-t-il. « L’autre élément d’explication, c’est la hausse, parmi les non-salariés, de la part des microentrepreneurs dont les revenus sont faibles ».
• Les niveaux d’inégalités parmi les plus élevés depuis 30 ansLes inégalités des niveaux de vie ont également « fortement » augmenté en 2023, conséquence de la baisse du niveau de vie des plus modestes concomitante à la hausse de celui des plus aisés.
« Les inégalités atteignent des niveaux parmi les plus élevés depuis 30 ans », note Michel Duée. « Le niveau de vie des plus modestes a augmenté moins rapidement que l’inflation tandis que le niveau de vie des plus aisés a été dynamique, notamment grâce à la bonne situation sur le marché du travail et au rendement des produits financiers ».
• Les familles monoparentales et les chômeurs surreprésentésLe profil des personnes pauvres reste quant à lui globalement inchangé, avec une forte représentation des familles monoparentales - dont le taux de pauvreté augmente de 2,9 points - et des personnes au chômage, en hausse de 0,8 point.
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Autre enseignement de l’étude de l’Insee, une hausse de la pauvreté moins marquée chez les retraités (11,1 %, +0,3 point contre +0,9 point pour l’ensemble de la population), sous l’effet notamment de la revalorisation du minimum contribution prévue dans le cadre de la réforme des retraites.
• Les associations déplorent « l’inaction politique »Contactée par l’AFP, la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre) évoque des chiffres « alarmants » mais « loin d’être étonnants » au vu de la situation sur le terrain et de la fin des mesures en faveur du pouvoir d’achat.
« Les coupures d’électricité et de gaz pour impayés explosent, le nombre de personnes qui disent avoir froid chez eux a presque doublé et on voit une montée très forte des expulsions locatives », souligne Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation. « On est sur une dynamique qui est très inquiétante de l’action politique ou plutôt de l’inaction politique », ajoute-t-il. « L’heure n’est plus aux mesures ponctuelles, il faut des mesures structurelles ».
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« Nous avons rencontré le Premier ministre François Bayrou la semaine dernière, il a évoqué un objectif de réduction de la pauvreté à 10 ans. En soi c’est une bonne chose mais avec quels moyens ? », s’interroge de son côté Delphine Rouilleault, présidente du collectif Alerte qui réunit 37 associations de lutte contre la pauvreté.
« Derrière les paroles d’humanité et l’affichage d’un soutien au secteur associatif on attend du gouvernement des mesures ambitieuses et une prise de conscience », ajoute-t-elle. « On entend des rumeurs sur l’idée d’une année blanche de non-revalorisation des prestations sociales : ce serait inadmissible vu le contexte ».
Par Le Nouvel Obs avec AFP
Le Nouvel Observateur