Trois ans de la guerre en Ukraine: pourquoi l'économie russe ne s'est pas effondrée sous les coups des sanctions
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L'Europe multiplie les salves de sanctions contre la Russie. Un nouveau paquet de sanctions vient d'être adopté. Le 16ème depuis le début de la guerre en Ukraine il y a trois ans. Mais pour quel résultat?
Difficile de savoir comment se porte l'économie russe. Après un gros creux en 2022, année du déclenchement de la guerre, la croissance a été dynamique. Le pays le plus sanctionné au monde a vu son PIB croître de 4,1%, selon son Premier ministre Mikhaïl Michoustine.
"Cela est dû avant tout à la croissance intensive de l'industrie manufacturière", a-t-il avoué.
En trois ans, l'effort de guerre est devenu le principal moteur de l'économie russe, très dépendante des investissements liés au complexe militaro-industriel. Pour 2024, le budget pour la défense et de la sécurité s'élève à environ 8,7% du PIB, selon le président Vladimir Poutine, une première en Russie depuis la chute de l'URSS en 1991. A titre de comparaison, les Etats-Unis y consacrent 3,4% de leur PIB et l'Allemagn et la France pas plus de 2,1%.
L'horizon s'annonce bien plus morose en 2025, avec une croissance qui pourrait être comprise entre 1 et 2%, selon différentes projections. Si à première vue l'économie russe semble tenir le choc, plusieurs facteurs inquiètent jusque dans les rangs du Kremlin. À commencer par l'inflation.
Vladimir Poutine lui-même a ordonné à son Premier ministre de mettre les bouchées doubles pour réduire l'envolée des prix.
"L'objectif pour l'année en cours est d'avoir une trajectoire de croissance plus équilibrée et d'obtenir une baisse de l'inflation", a-t-il déclaré.
Elle atteint un niveau particulièrement élevé: 9,5% en 2024 selon les sources officielles. Les hausses sont marquées sur l'alimentaire avec par exemple +36% sur le prix du beurre en 2024 selon l'agence statistique publique Rosstat.
D'autant que l'augmentation des prix pourrait être largement sous-estimée par le Rosstat, selon Julien Vercueil, professeur à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) et spécialiste de l'économie de la Russie, interrogé par TF1. Le sujet reste politiquement sensible, dans un pays marqué par les crises et l'inflation des années 1990.
Pour lutter contre l'inflation, le taux directeur de la banque centrale russe (BCR) a été relevé à 21% fin octobre, un record depuis 2003, ce qui est un frein aux investissements. Le taux inquiète les grands patrons de l'économie russe.
"L'économie ne peut pas survivre comme ça longtemps", avait cinglé début décembre German Gref, PDG de la première banque russe SberBank.
Sergueï Tchemezov, le dirigeant du grand conglomérat de défense Rostec, a qualifié de "folie" le niveau des taux d’intérêts. Ce proche de Vladimir Poutine a également prédit des faillites en série car les entreprises n’arrivent pas à emprunter.
Parallèlement les employeurs souffrent de pénuries de main d'œuvre, conséquence du départ de centaines de milliers de Russes sur le front ou à l'étranger. Ce qui pourrait également freiner la croissance.
Dans le détail, l'impact des sanctions européennes et américaines est difficile à évaluer car la Russie peut trouver des stratégies de contournement, même si celles-ci ont pu ralentir sa chaîne d'approvisionnement et/ou coûtent plus cher.
L'Union européenne a ainsi mis en place des sanctions sur les hydrocarbures, dont les exportations vers l'Europe étaient très importantes pour l'économie russe. Mais depuis, la Russie a trouvé d'autres partenaires commerciaux. Elle utilise une "flotte fantôme" pour écouler son pétrole par des moyens détournés.
Et même si l'Europe plafonne le prix du baril, il reste suffisamment haut pour ne pas pénaliser la Russie, selon Julien Vercueil. "L'économie russe commencera à avoir des graves difficultés si les prix internationaux du pétrole descendent durablement au-dessous de 40 dollars le baril", estime le spécialiste.
"Les sanctions ne parviennent pas à être suffisamment dures pour avoir un effet macroéconomique."
Les sanctions européennes empêchent également la Russie d'importer un certain nombre de produits technologiques. Elle a donc dû se tourner à la fois vers son industrie nationale, mais aussi sur d'autres fournisseurs. Toujours selon Julien Vercueil, cela "entraîne une redirection des flux de la Russie, qui est obligée soit de substituer avec des produits nationaux, soit de faire du contournement, soit d'aller s'approvisionner auprès de la Chine ou d'autres pays asiatiques".
"Dans tous les cas, ça entraîne des surcoûts et a un effet de ralentissement économique."
Ces éléments combinés montrent que l'économie russe ne s'est pas effondrée, comme le souligne Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri), interrogée par La Croix.
"Moi, si j’étais Vladimir Poutine, je verrais probablement que la croissance est à 4%, que les impôts rentrent, que les entreprises se débrouillent en dépit des sanctions, que le prix du pétrole ne devrait pas s’effondrer, que des pays comme la Turquie m’aident à contourner les sanctions, que je peux toujours compter sur la Chine malgré les difficultés qu’éprouve son économie…", énumère la spécialiste.
Néanmoins, cette résistance ne sera pas éternelle. Combien de temps la Russie peut-elle tenir? Selon Tatiana Kastouéva-Jean, les économistes libéraux russes ont dû mal à s'accorder: certains jugent que l'économie pourra encore tenir trois à cinq ans sans s’effondrer, quand d'autres ne la voient pas aller au-delà d'un an.
BFM TV