Trump casse la révolution verte, la crise de l’énergie qui vient, Musk aux mains pleines

Aucun doute : il a gagné. Après une semaine de psychodrame orchestré et de faux suspense, Donald Trump a obtenu de sa majorité au Congrès le vote d’une loi, la Big Beautiful Bill (la “belle et grande loi”) qui concasse jusqu’au dernier principe de l’ancien parti républicain en augmentant le déficit budgétaire de plus de 3 000 milliards de dollars et inflige les pires sévices au système de protection sociale américain. Les démocrates, le dernier carré des partisans de Joe Biden, ne doutaient pas que Trump, par son art sidérant de la démagogie et des menaces mafieuses, réussirait à imposer ce mélange de baisses d’impôts énormes pour les plus hauts revenus et de saccage de l’assurance médicale destinée aux plus pauvres, le Medicaid.
Mais tout de même : à en croire le Washington Post, Biden et ses brillants technocrates, adeptes de la bonne vieille mécanique politique, n’imaginaient pas que Trump s’attaquerait avec tant de violence à l’une des réalisations majeures de l’ancien gouvernement : le plan de relance industrielle hi-tech nommé IRA, l’Inflation Reduction Act. Près de 400 milliards de dollars de fonds publics dévolus en grande partie aux énergies renouvelables qui devaient faire surgir des usines et des jobs dans tout le pays tout en assurant la prééminence américaine dans les technologies d’avenir. Pourquoi cette certitude ?
La Maison Blanche démocrate croyait avoir assuré la survie de ce plan en le mettant prioritairement en place dans des fiefs républicains. Sur les vingt États bénéficiaires des aides fiscales vertes de l’IRA et des 120 000 emplois à la clé, dix-sept avaient voté ultra majoritairement pour Trump lors des précédentes présidentielles. Aucune importance.
Les élus républicains de ces États ont voté fanatiquement pour la suppression rapide de ces subventions, clé de plus de 400 projets industriels et de milliers d’emplois, car ils craignaient plus la colère d’un président acharné à détruire les réalisations de son prédécesseur que les conséquences électorales d’une remontée du chômage parmi leurs électeurs. Certains membres du Congrès ont même proposé, pour prouver leur dévotion à Donald Trump, une taxe de 20 % sur les industries gauchistes des panneaux solaires et des éoliennes. La plupart des projets financés par l’IRA étaient certes en cours. Le public, dans ces régions conservatrices, était mal informé par Fox News et les réseaux sociaux des détails locaux du plan industriel. La guerre des cultures importe plus pour ces électeurs que leur avenir économique. Enfin, pour l’instant…
The Atlantic entrevoit une autre conséquence du massacre de l’IRA : une prochaine crise énergétique digne, par sa gravité, du choc pétrolier des années 1970. C’est simple : 93 % des nouveaux approvisionnements en électricité du réseau américain cette année seront produits par le solaire, l’éolien et le stockage d’énergie dans des batteries. L’abandon de ces investissements, alors que les prix de l’électricité augmentent de 13 % par an depuis 2022, contribuerait à renchérir terriblement les factures d’énergie des ménages et des entreprises, ou à provoquer des coupures dans tout le pays. Le retour aux centrales à charbon que préconise Donald Trump est aussi illusoire que grotesque. Quant au recours accru au gaz naturel pour la production d’électricité, il se heurte à la pénurie de turbines due à la hausse vertigineuse de la demande d’électricité nécessaire aux centres de données pour l’intelligence artificielle (IA). Aucune nouvelle centrale à gaz ne pourra entrer en service avant 2030. Et il n’y aura bientôt plus d’alternative.
Elon Musk est au tapis. Vaincu ? Mais non. Il est haché menu, taillé en sushis, éparpillé façon puzzle par son ancien mentor et souverain Donald Trump pour s’être opposé au gouffre budgétaire de la Big Beautiful Bill. Cette disgrâce shakespearienne a même inspiré le magazine Foreign Policy, d’ordinaire plus expert en belligérances et missiles, qui décrit maintenant le génie de SpaceX et Tesla comme “l’idiot utile” du président. Musk, connu pour avoir réduit des deux tiers les effectifs de X sans pour autant couler le réseau social, croyait sauver l’Univers en appliquant sa science du dégraissage au service public américain. Mais sa sauvage tronçonneuse aura moins réduit le budget de l’État que servi à terroriser et mettre au pas la fonction publique, le fameux “deep state” (État profond) honni par Trump.
Ce sale boulot lui a tout de même assuré quelques avantages. Le Washington Post, informé par des concurrents d’Elon Musk, assure que le forcené du Department of Government Efficiency (DOGE) a eu accès, grâce à son escouade de jeunes informaticiens, à des masses de données précieuses et confidentielles d’au moins sept agences gouvernementales qui lui permettraient par exemple, via les dossiers de contrats d’État, de connaître les secrets technologiques de ses rivaux, de compulser les plaintes fédérales de violations du droit du travail en préparation contre lui, ou de s’approprier les informations fiscales et financières de millions d’Américains en vue de lancer son futur service de paiement en ligne sur son réseau X. Une mythologie coriace voulait que Musk soit trop fou, trop riche, trop puissant, trop interstellaire et idéaliste pour se sucrer dans de vulgaires conflits d’intérêts. Ben voyons…
Courrier International