TVA sociale : danger sur les retraites

Par Sébastien Crépel, codirecteur de la rédaction
Ils y pensent tous, mais se gardent pour l’instant de trop en dire. Édouard Philippe, Gérald Darmanin, Gabriel Attal, Bruno Retailleau… Le sujet ? La retraite par capitalisation. Son introduction en France fait l’objet d’un lobbying discret pour l’imposer comme solution à la prétendue incapacité du système de retraite par répartition à faire face au choc démographique. Après huit réformes depuis 1993 censées « sauver » notre système, le résultat parle de lui-même. Les artisans de ces réformes, qui ont progressivement durci les conditions d’ouverture des droits sans régler la question du déficit du système, ne pouvaient mieux préparer le terrain aux fonds de pension à la française.
Les mêmes qui se proclamaient défenseurs du système par répartition – un système qui, grâce aux cotisations des actifs, permet de payer les pensions des retraités sans recours à l’épargne privée – sont prêts à faire entrer le loup dans la bergerie. Après avoir refusé d’élargir le financement des retraites comme le permettrait la croissance de la richesse produite, ils veulent contraindre les salariés à abonder de leur poche un « capital » en « complément » de leurs cotisations. En coulisses, le Medef s’active. Dans « le Monde », le patron des patrons, Patrick Martin, plaidait, le 27 février : « Il faut aller chercher des ressources actuellement affectées aux branches famille et assurance-maladie (de la Sécurité sociale – NDLR), les pertes de recettes pour ces deux régimes étant compensées par un surcroît de fiscalité. » C’est-à-dire une TVA sociale, une dénomination récemment utilisée par François Bayrou.
Pour être opérationnel et procurer un revenu aux retraités, le pilier de la capitalisation ne peut en effet compter sur les cotisations des actifs immédiatement disponibles comme dans le système par répartition : il doit être financé grâce à l’épargne individuelle accumulée durant toute leur vie par les salariés. Cela veut dire qu’avant de voir la première pension versée avec la capitalisation, les actifs d’aujourd’hui devront payer deux fois : une première fois pour financer les pensions des retraités d’aujourd’hui dans le système par répartition, et une deuxième pour constituer l’épargne de leur propre retraite.
Comme le patronat ne veut pas débourser un sou de plus, son idée est de transférer le financement des prestations sociales sur un impôt comme la TVA : ainsi, c’est le consommateur – salarié, retraité, chômeur, étudiant… – qui paiera en faisant ses courses. Spontanément, le risque auquel on pense est celui d’une hausse des prix. Mais il en existe d’autres : en « fiscalisant » la protection sociale, les droits des salariés s’en trouvent réduits. Emmanuel Macron avait su en tirer avantage, au moment de la baisse des cotisations chômage impulsée par le premier ministre Édouard Philippe. Le 9 juillet 2018, le président de la République expliquait aux parlementaires réunis en Congrès : « La solidarité nationale est de plus en plus financée par l’impôt (…), ceci conduit aussi à (en) transformer la philosophie même (…). Il faut en tirer toutes les conséquences : il n’y a plus un droit au chômage, au sens où on l’entendait classiquement (…), puisque tous les contribuables l’ont payé. » En clair, là où la cotisation ouvre des droits, l’impôt n’en ouvre aucun : chacun est redevable à la société tout entière. C’est la transformation de la protection sociale en aumône publique. La porte ouverte, aussi, à toutes les sanctions et restrictions au nom de la chasse aux « abus », dont les chômeurs paient aujourd’hui durement le prix.
L'Humanité