« Vincent Bolloré contribue au pluralisme des idées » : au « Télégramme », un éditorial dénoncé par la rédaction

Par Noé Megel
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Une manifestation contre Vincent Bolloré sur la plage du cap Coz, à Fouesnant, dans le Finistère, le 24 mai 2025. ESTELLE RUIZ / HANS LUCAS VIA AFP
Hubert Coudurier, le directeur de l’information du journal, avait pris la plume pour défendre le milliardaire breton dans un éditorial. La Société des Journalistes du quotidien s’est désolidarisée du texte.
« La Société des Journalistes se désolidarise de l’éditorial publié dimanche, dans nos colonnes, sur Vincent Bolloré. » Ce mardi 27 mai, la société des journalistes du « Télégramme » (SJT) et la direction du quotidien breton se sont répondu par communiqués interposés.
Le point de départ, un édito d’Hubert Coudurier, directeur de l’information du journal, sur la manifestation anti-Bolloré du samedi 24 mai sur une plage du Finistère. Organisé par le collectif Levons les voiles et les Soulèvement de la Terre, le rassemblement avait initialement pour projet de débarquer sur l’île du Loch de l’archipel finistérien, propriété de Vincent Bolloré accusé par les associations de véhiculer des idées d’extrême droite dans ses médias et maisons d’édition.
L’abordage ayant été interdit par la préfecture, quelque 300 personnes et une cinquantaine de bateaux ont envahi la plage du cap Coz, non loin d’une autre propriété du milliardaire breton, pour y scander des slogans défavorables à l’intéressé.
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Le jour même, Hubert Coudurier a donc pris la plume pour défendre le propriétaire, entre autres, de CNews et du « JDD », qui « contribue au pluralisme des idées » et dont « l’entreprise familiale incarne […] la réussite de la Bretagne » face à une action qui « rappelle des pratiques de régimes totalitaires ».
« Goutte de trop »C’en est trop pour la SJT, relancée il y a deux ans notamment suite aux éditos d’Hubert Coudurier qui « cristallisent depuis longtemps la frustration », qui a fait le choix de rendre public un communiqué pour souligner sa distance avec le texte du directeur de l’information. Deux communiqués internes, déplorant déjà ses prises de position, avaient été partagés en 2021 et 2024 par l’organisation à laquelle adhère la moitié des 220 journalistes de la rédaction. Quelques mois plus tôt, la SJT avait rendu public un autre communiqué lorsque Jean-Luc Mélenchon avait qualifié le journal de « bulletin paroissial » qui « manipule ses lecteurs ».
Concrètement, le communiqué de la SJT souligne qu’il est « trompeur » de qualifier Vincent Bolloré de contributeur du « pluralisme des idées » alors que sa « stratégie de conquête déployée dans le secteur médiatique pour servir son idéologie et ses intérêts a été largement documentée ». La Société des Journalistes reproche aussi à l’éditorial de ne pas préciser que son auteur, Hubert Coudurier, est un chroniqueur régulier de CNews, chaîne du groupe Vivendi, détenu par un certain Vincent Bolloré.
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« On ne s’est jamais senti empêché de traiter un sujet mais cet éditorial, c’est un peu la goutte de trop, précise au « Nouvel Obs » le bureau de la SJT. Ce qui nous gêne c’est qu’il implique l’ensemble de la rédaction en invoquant l’indépendance du journal. »
« L’extrême gauche et la SJT »En réaction, un nouveau communiqué, cette fois-ci de la direction du « Télégramme » a été diffusé aux équipes puis publié sur ses réseaux sociaux. « La SJT se trompe de combat : il ne s’agit pas de défendre M. Bolloré ni ses idées, mais de dénoncer la dérive totalitaire de certains mouvements d’extrême gauche », peut-on y lire.
« Le “Télégramme” est indépendant et défend le pluralisme des opinions, c’est pourquoi il est utile de réaffirmer que celles-ci ont droit de cité dans l’espace médiatique, même lorsqu’elles déplaisent à l’extrême gauche et à la SJT », poursuit la direction. « On estime que le communiqué ne répond pas au fond du problème », réagit auprès du « Nouvel Obs » la SJT qui confie ne pas savoir qu’elle sera la suite du dialogue.
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A noter qu’Hubert Coudurier, l’auteur de l’éditorial de la discorde, est le fils de Jean-Pierre Coudurier, ancien président du quotidien de 1961 à 2001, lui-même fils de Marcel Coudurier, directeur de «la Dépêche de Brest et de l’Ouest » – un ancien quotidien remplacé par « le Télégramme » en 1944 – et PDG du journal de 1947 à 1961, lui-même fils de Louis Coudurier ex-rédacteur en chef de « la Dépêche de Brest et de l’Ouest ». Le frère d’Hubert Coudurier, Edouard, est l’actuel président du conseil d’administration et propriétaire du groupe Télégramme.
Le Nouvel Observateur