Sélectionner la langue

French

Down Icon

Sélectionnez un pays

France

Down Icon

Vincent Bolloré et le parti des dévots

Vincent Bolloré et le parti des dévots

Pour aller plus loin

Au Grand Siècle, les puissants s’achetaient une conduite en devenant dévots. Nul doute que sous le règne de Louis XIV, monseigneur Vincent Bolloré, après avoir tant prélevé de richesses, joué les corsaires de la finance et régné sans partage sur ses entreprises, eût rejoint la Compagnie du Saint-Sacrement, coterie secrète qui entendait imposer l’esprit pieux dans les affaires du royaume. On se souvient que malgré sa dissolution par ordre du roi, ce « parti des dévots » parvint à censurer « Tartuffe », chef-d’œuvre de Molière qui dénonce la bigoterie d’un de ces « imposteurs » : « Le scandale du monde est ce qui fait l’offense/Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. »

A lire aussi

Trois cent cinquante ans plus tard, le « parti des dévots » reprendrait-il du poil de la bête ? Selon l’enquête fouillée de nos journalistes Camille Vigogne Le Coat et Clément Lacombe sur l’influence politique de l’homme d’affaires, les interlocuteurs de Vincent Bolloré l’entendent parler des anges, du diable, des « FDB » (« forces du bien ») et des « FDM » (« forces du mal »), qui englobent la gauche, la presse, la justice, les partisans de l’aide active à mourir… A 73 ans, le milliardaire breton le plus souvent flanqué de prêtres traditionalistes se raccroche à sa devise familiale : « A genoux devant Dieu, debout devant les hommes. » Il ne s’agit plus seulement de racheter ses péchés, mais aussi ceux de ses concitoyens ! Plus secret que jamais, le patron de Vivendi semble obsédé par l’idée de sauver une France « fille aînée de l’Eglise » qu’il croit menacée par le « grand remplacement ». « Dans trente ans, la France ne sera plus la France que j’ai connue et que j’aime. Et ça, je ne peux pas l’accepter », dit-il. A ses côtés dans cette croisade, le businessman Pierre-Edouard Stérin, autre saint patron de la droite dure, s’emploie à financer associations, think tanks et candidats réacs. En février dernier, « le Nouvel Obs » décrivait par le menu son plan pour créer un « écosystème politique et économique favorable » à la pénétration de ses idées.

Qui sera le candidat de ces pieux milliardaires à la présidentielle de 2027 ? Marine Le Pen, sa posture sociale et sa tolérance en matière de mœurs les hérissent. Peu importe qu’elle se dise « extrêmement croyante », ils lui préfèrent Jordan Bardella, pourtant ni croyant ni baptisé mais qui ne rate pas une occasion de célébrer « les racines chrétiennes de la France ». Vincent Bolloré a joué les conseillers littéraires pour le jeune président du RN. Et déployé la force de frappe de son groupe d’édition pour assurer le succès de son premier bréviaire. En attendant la parution cet automne du second, censé célébrer les valeurs du travail, les mécènes réactionnaires en pincent aussi pour Bruno Retailleau. Catholique très conservateur et pro-business, le Vendéen, ministre de l’Intérieur et président des Républicains, incarne la possibilité, hautement désirable à leurs yeux, d’une fusion de la droite et de l’extrême droite. Déjà, il bénéficie à plein du puissant relais médiatique du groupe Bolloré (CNews, Europe 1, « le Journal du Dimanche »…). Une armada qui tire à boulets rouges sur l’audiovisuel public accusé de répandre « la propagande de gauche avec vos impôts ».

A lire aussi

L’écho de ces entrepreneurs néomaurrassiens est tel qu’il fait des émules inattendus. « Ce n’est pas un hasard si Stérin et Bolloré mettent la main sur des entreprises de médias. Ils savent que c’est la meilleure manière d’orienter la conversation publique, et, à terme, de peser dans les urnes », explique l’écrivain et activiste écologiste Cyril Dion qui déclare rechercher « des financeurs capables de mettre de l’argent – beaucoup d’argent – au service de l’intérêt général ». Pour mener la « bataille culturelle », The Shift Project, think tank qui milite pour la décarbonation de l’économie française, a déjà engrangé 4,5 millions d’euros de financement participatif pour peser dans la présidentielle. C’est peu comparé aux dizaines de millions de Stérin ou aux centaines de millions de Bolloré. Mais la cause écologiste des 30 000 Shifters vise à préserver notre avenir plutôt qu’à ressusciter un fanatisme d’un autre âge. Des anges contre des vieux démons ?

Le Nouvel Observateur

Le Nouvel Observateur

Nouvelles similaires

Toutes les actualités
Animated ArrowAnimated ArrowAnimated Arrow