Laurent Marti, pilier de l’UBB
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Une journée comme les autres, ou presque, dans un club de rugby professionnel. Les joueurs enquillent séance de musculation, entraînement collectif, massage et kiné, tandis que l’administratif s’affaire derrière des écrans. Le tout dans une sérénité apparente, alors que, quatre jours plus tard, une immense clameur s’apprête à retentir, six cents kilomètres au nord de Bègles : de la périphérie de Bordeaux au Stade de France de Saint-Denis, il n’y a plus qu’un seul (grand) pas à franchir, pour jouer la finale du Top 14, championnat hexagonal au firmament du circuit planétaire.
Une échéance qui s’offre donc à l’Union Bordeaux Bègles (UBB) et son président Laurent Marti, qui maugrée en souriant contre ce compte à rebours pénible d’une ultime semaine où il faut «tout mettre en place dans l’urgence, gérer le calvaire de la logistique, décider qui inviter ou pas en s’efforçant de ménager les susceptibilités…» Un vrai casse-tête à n’en pas douter, autant qu’un rêve éveillé. Car toutes les écuries du pays sont désormais en vacances, sauf deux qui convoitent encore, ce samedi 28 juin, le Bouclier de Brennus, trophée suprême d’un rugby français en pleine bourre : Toulouse et, donc, l’UBB.
Une assomption entre les deux cadors de la saison : l’institution occitane qui inspire crainte et admiration à tous ses adversaires à force de collectionner les coupes, et le daguet aquitain qui, fin mai, a enfin découvert l’extase, en étant sacré champion d’Europe – une épreuve paradoxalement moins huppée que le Top 14. Ce qui procure obligatoirement un goût de reviens-y au groupe de Laurent Marti. L’homme sans qui, sur les bords de la Garonne, l’histoire ne se serait sans doute jamais écrite de la sorte. Une autre casquette de dirigeant le situe pourtant aussi à… Toulouse, où le chef d’entreprise pilote TopTex, un distributeur de vêtements et accessoires promotionnels qui, dans un secteur en difficulté, affiche une forme aussi insolente que les joueurs de l’UBB, avec 550 employés et un chiffre d’affaires en hausse constante.
Un strike sportif et entrepreneurial qui n’incite pas le Périgourdin d’origine à plastronner, lui, qui, faute de vrai soutien local, n’oublie pas avoir été «à dix minutes de tout plaquer» côté rugby, en 2010, trois ans après avoir déjà englouti pas mal d’argent en prenant la tête du club fraîchement issu d’une fusion entre les équipes rivales de Bordeaux la cossue et Bègles la popu. «Je n’ai rien inventé», tempère le patron au teint hâlé, en mocassins, pantalon écru et chemise bleu marine cintrée, assis à la grande table fatalement ovale d’un bureau, d’autant moins clinquant que sa surface a été réduite de moitié pour libérer des espaces de stockage. «Le modèle que j’ai mis en place est le même qu’à Toulouse, La Rochelle, ou peut-être demain, Bayonne : un fort ancrage dans le territoire, une économie réelle et une gestion empreinte de bon sens où, sur le terrain comme en dehors, on agrège les compétences en essayant d’insuffler une âme. Bien sûr, cela ne garantira jamais d’arriver au sommet, mais au moins, les bases sont là.» Et d’opérer un parallèle avec l’entreprise, «où le facteur humain prédomine aussi, sauf que les interlocuteurs ne sont plus le public, mais les fournisseurs et les clients, et que, de la production au service, on garde la capacité d’intervenir directement. Ce qui, sans chausser les crampons, n’est pas le cas au rugby, où, étant jugé en permanence et très exposé médiatiquement, la pression est bien supérieure». Marti a joué à un niveau correct de 15 à 30 ans, tout en ayant parallèlement monté sa première boîte à 20 ans.
«Je ne crois pas que Laurent a changé au fil du temps. Il reste un gros travailleur, plein d’énergie, qui s’est certes lancé seul dans l’aventure, mais a su s’appuyer sur l’écoute, le respect et la résilience», assure Patrick Laporte, le premier entraîneur de l’UBB, de 2006 à 2009. «Un homme généreux et fidèle, cultivant des valeurs similaires dans le sport et les affaires, où même ses concurrents reconnaissent les qualités du personnage», ajoute celui qui copréside aujourd’hui les Lionnes, l’équipe féminine locale de rugby.
«Atteindre un objectif ambitieux, pourvu qu’il soit réaliste, est à la portée de quiconque, dès lors que tu y mets la détermination, l’engagement et le minimum d’intelligence nécessaires», martèle l’homme au contact direct, qui tutoie spontanément. Un apophtegme qui, dans son cas, germe à Prigonrieux, une commune de Dordogne, à dix minutes de Bergerac, où sa famille grandit, autour de parents aux ascendants espagnols et italiens accomodés à la sauce pieds-noirs. La mère bichonne le foyer, que complètent un frère et une sœur, tandis que le père, lui, gravit des échelons qui le mèneront de comptable à la direction du Crédit immobilier local.
D’une enfance sans heurt ni étincelle, d’où surnagent des «souvenirs d’amour, de liberté au grand air et de moments d’ennui», le fils s’extrait pas à pas. Que faire quand on n’aime «pas trop l’école» ? Prof d’anglais ? De gym ? Une vaine figuration en fac de biologie à Toulouse et c’est en définitive un BTS d’action commerciale qui finit par donner le tempo. Peut-être car dans l’intitulé figure le mot «action». A partir d’une mallette de briquets publicitaires qui lui tombe un jour entre les mains, Laurent Marti, mû par un «besoin d’indépendance, de responsabilité et de challenge», saute dans le grand bain, à peine majeur, avec la bénédiction paternelle.
«Ça m’a plu», résume-t-il une petite quarantaine d’années plus tard, ayant donc entre-temps coché les cases textile et rugby, sport qu’il persiste à parer de toutes les vertus, nonobstant les affaires et couacs à répétition qui ternissent le blason (violences, conjugales ou autres, drogue, racisme…). Jusqu’à confesser une «passion dévorante», où l’électeur volage (un scrutin sur deux, à la louche) et père aimant (deux filles de 30 et 27 ans, issues d’une précédente union), se laisse volontiers bouffer par «l’excitation, le stress et le bonheur», in fine, quand la victoire est au bout.
Ce qui ne fut pas le cas, l’an dernier, à la même période, quand à Marseille, l’UBB fut balayé en finale du Top 14 par un ouragan déjà en provenance de Toulouse (59-3). Ce soir-là, Laurent Marti avait pris la parole dans le vestiaire, pour persuader ses joueurs estourbis qu’il fallait au contraire y voir une «source de motivation» et que demain serait un autre jour. Une inspiration qui, à l’instar de tout essai inscrit, ne demande plus qu’à être transformée.
1967 Naissance à Bergerac (Dordogne).
1987 Crée sa première société.
2007 Prend la présidence de l’Union Bordeaux Bègles (UBB).
Mai 2025 Vainqueur de la Champions Cup.
28 juin Finale du Top 14 contre Toulouse (21h).
Libération