Voeckler : «Dans la dernière heure, ce ne sera plus une course de vélo»
Mardi en fin d'après-midi, sur la terrasse de l'hôtel des Bleus, face aux collines brumeuses, Thomas Voeckler jonglait entre plusieurs scénarios pour la reconnaissance du circuit prévue ce mercredi, entre le contingent - Julian Alaphilippe, Valentin Madouas, Louis Barré, Julien Bernard, Jordan Jegat - qui devait atterrir au petit matin depuis Paris, avec la possibilité d'un retard ou de formalités à l'aéroport de Kigali qui s'étirent, et ceux déjà présents au Rwanda, à savoir Valentin Paret-Peintre, Pavel Sivakov et Paul Seixas.
Ces deux derniers seront d'ailleurs plutôt en réveil musculaire avant le relais mixte, qu'ils disputeront mercredi après-midi avec Bruno Armirail, Cédrine Kerbaol, Juliette Labous et Maëva Squiban. Dimanche, pour la course en ligne, le sélectionneur des Bleus aura sans doute moins d'options pour exister face à Tadej Pogacar. Mais l'équipe de France n'en visera pas moins le titre.
« Maintenant que vous avez roulé sur le parcours, qu'en pensez-vous ?C'est dur, comme prévu. Sur le papier, le dénivelé, la distance, l'altitude, même si on ne passe qu'une fois à 1 800 m, l'humidité, c'est une boucherie. Mais la difficulté, c'est qu'est-ce qu'on fait de ce parcours ? J'entends beaucoup dire que c'est le Championnat du monde le plus dur de l'histoire, moi, j'ai envie d'attendre dimanche soir pour le savoir. Seule certitude, ce sera obligatoirement des coureurs forts dans le final, quel que soit le scénario. On ne peut pas se cacher. On s'oriente vers des coureurs grimpeurs, on a l'impression que c'est une course par étapes avec les mecs engagés.
Cette difficulté annoncée peut crisper tout le monde, par peur, mais ça peut aussi partir de très loin avec certains des coureurs au départ...Il n'y a pas si longtemps, on aurait été sûrs que ça effraierait énormément et que tout le monde attendrait. Aujourd'hui, les courses s'ouvrent plus tôt, mais dans les faits, quand il y a un truc aussi gargantuesque, ça peut faire peur et bloquer les initiatives. Si je suis sûr du succès de ces Championnats du monde - et je le suis déjà - et de la qualité du vainqueur dimanche, on peut être déçu du scénario de course. Parce qu'on en attend énormément.
« Je suis persuadé que les mecs ont confiance en moi quand je leur dis : c'est possible »
Mais on peut aussi se dire que vous allez nous inventer un petit quelque chose.J'ai cette étiquette, je la revendique et je l'assume, si c'est justifié. Mais là, je ne vais pas faire croire qu'il y a un truc millimétré prévu parce que ça serait ne pas être lucide sur la concurrence, le parcours, mes coureurs. Mais ça n'enlève rien aux rôles qui seront attribués et, surtout, je n'ai pas peur de dire qu'on y va pour gagner le titre. Je ne peux pas faire autrement. Je ne suis pas bête, je sais que notre pourcentage de réussite est infime, mais il existe. Je serais bien contrarié si d'autres nations ne pensaient pas comme ça. Dans ce cas, autant ne laisser qu'un seul coureur au départ.
Et j'aime bien rappeler aux gars qu'on n'a rien à perdre. On n'attend rien de nous et c'est peut-être une chance. Ça ne veut pas dire qu'on manque d'ambition. Je n'ai pas besoin d'avoir, comme en 2020-2021, le meilleur puncheur du monde (Julian Alaphilippe) avec de super éléments, sur un parcours qui lui va comme un gant. Ça, c'est super dur à assumer. Là, on n'a pas ce statut, mais je pense connaître un peu le vélo et je suis persuadé que les mecs ont confiance en moi quand je leur dis : c'est possible.

Ce parcours n'est-il pas aussi frustrant pour vous dans la mesure où il gomme l'aspect stratégique ?Oui, mais après, il y a des parcours comme ça. Glasgow (en 2023), c'était même pire. Ici, je suis convaincu que l'état d'esprit plus que la tactique sera déterminante. Sauf si tout le monde a peur d'un coureur et en plus du parcours, et qu'on attend de se faire étriper, je suis convaincu qu'on va aller dans quelque chose d'une autre dimension, à part.
Dans quel sens ?Une épreuve de force, de résistance, où on va envoyer bananer toutes les tactiques, où les mecs vont devoir être capables d'aller dans une dimension de souffrance, de mental, supérieure à l'adversaire. Dans la dernière heure, ce ne sera même plus une course de vélo.
Donc quand vous dites état d'esprit, c'est à la fois collectif et individuel...Oui. Mais ça, c'est vraiment seulement si plusieurs équipes y vont pour gagner. Si les nations outsiders attendent de voir comment se passe le grand circuit pour essayer de faire quelque chose, dans ces cas-là, oubliez ce que je viens de dire.
« Ce serait faire fausse route de se focaliser sur Pogacar »
Est-ce agaçant de voir Tadej Pogacar au départ, ou voyez-vous cela comme un défi ?Je ne me pose pas la question. Il est là et ce n'est pas un coureur comme un autre. Dont acte. Franchement, ce serait faire fausse route de se focaliser sur Pogacar. Pour l'équipe de France, mais aussi pour l'ensemble des adversaires. Parce que c'est du vélo et je vois trop de fois dans l'année où ça court pour la place de 2 alors qu'il n'a même pas encore attaqué.
Comment analysez-vous le contre-la-montre de dimanche dernier (Pogacar a été rattrapé par Remco Evenepoel, net vainqueur) ?C'est normal, on est sur le moment, dans le sens où, pour Pogacar ou un autre, on se dit : "Ah, punaise, il est super fort ", et dès qu'il y a un grain de sable : "Ah, et si ? "Rappelez-vous au Dauphiné, après le chrono. Et si ? Et puis le lendemain (il a écrasé tout le monde)...
Donc vous n'avez pas repris votre petit cahier pour changer des choses ?
Non. Je ne peux pas dire que ça ne m'a pas rassuré, ou fait plaisir, parce que mon seul intérêt est celui de l'équipe de France. Si Pogacar est moins fort, c'est bon pour nous. Peut-être qu'il sera moins bien, mais il faut toujours prendre du recul. Peut-être aussi qu'il va écrabouiller tout le monde et on dira qu'il s'est passé ce qui était prévu.
D'un point de vue symbolique, ces Mondiaux en Afrique vous touchent-ils ?Ah oui. C'est simplement un juste retour des choses et, aujourd'hui, dans le contexte du vélo, où les sommes d'argent se multiplient, il n'y a qu'à voir les budgets moyens des équipes, il y a du sens à être ici. Et pourquoi ce serait toujours dans des nations où il y a des équipes pros ou des stars du vélo ? Ça s'appelle un Championnat du monde. Il doit pouvoir être organisé en Chine, en Afrique, n'importe où. C'est beau, tout simplement, au-delà de la course, pour les mecs qui viennent là, c'est une aventure. Je ne suis pas très objectif parce que j'avais déjà cette ouverture quand j'étais coureur, et pourtant Dieu sait que j'étais fermé sur certains points... C'est un très beau moment de sport, quoi qu'il se passe dimanche.
L'Équipe