Société. « Un quart pourrait disparaître à terme » : les professionnels du tourisme face à l'IA

Guides et agences de voyages, offices de tourisme… Les acteurs du tourisme défendent le savoir-faire humain face à la machine. Mais pourront-ils résister à cette nouvelle vague numérique qui “ringardise” déjà les sites comparateurs et de réservation en ligne ?
Les professionnels du voyage bientôt contraints de plier bagage ? « L’IA ne tuera pas les guides touristiques », avance Philippe Gloaguen, directeur du Routard. “LA” bible des voyageurs avec 160 destinations parcourues depuis un demi-siècle par une soixantaine d’explorateurs-enquêteurs.
« Ce qui fait notre force, c’est notre avis, subjectif mais toujours sincère. Cela crée une crédibilité à l’égard du lecteur. » Et le professionnel de vanter les « pas de côté et lieux secrets » mis en avant dans sa collection. « Ce n’est pas la même vision du tourisme », résume-t-il faisant la comparaison avec les « algorithmes basés sur le plus petit dénominateur commun, largement influencé par les préférences des Américains ».
« L’écoute, l’expérience et l’émotion »« L’écoute, l’expérience et l’émotion ne remplaceront jamais une réponse mécanique », abonde Stéphane Villain, président d’ADN Tourisme. Sa structure chapeaute les 1 150 offices de tourisme ainsi que des services au sein des Régions et Départements (soit 13 000 emplois).
« L’avantage de l’humain sur l’IA dans nos offices de tourisme, c’est une parfaite connaissance du territoire et notre capacité à travailler quotidiennement avec ses prestataires de services (restaurateurs, hébergeurs, acteurs de la culture et du patrimoine). »
Ce professionnel du tourisme et maire de Châtelaillon-Plage (Charente-Maritime) reconnaît cependant que l’IA est devenue un outil indispensable à la filière car « disponible 24 heures sur 24, capable de faire des traductions instantanées et des recommandations assez précises ». Néanmoins, veut-il croire, l’office de tourisme « restera un lieu privilégié d’accueil et de renseignement ».
Moins optimiste, Didier Arino, directeur du cabinet de conseil Protourisme, anticipe au contraire une « utilité moindre de la mission principale d’information » de cet écosystème. Dans l’édition, « certaines collections, dont l’avis est plus neutre et factuel que le nôtre, souffrent davantage », souligne le patron du Routard.
La crainte des agences de voyageLui revendique deux millions d’exemplaires vendus chaque année « grâce à une clientèle fidèle ». Mais il admet : « Si Le Routard démarrait maintenant avec l’IA en face, je ne suis pas sûr que l’on s’en sortirait honorablement ».
Chez les agences de voyages, l’horizon n’est pas au beau fixe, à en croire le même Didier Arino. « Un quart pourrait disparaître à terme. L’IA risque d’affaiblir celles, trop généralistes, qui vendent des produits d’une grande banalité. Seules, s’en sortiront les agences qui proposeront des prestations à des prix très attractifs que le particulier n’arrivera pas à obtenir car il n’aura pas la même marge de négociation que les tour-opérateurs et celles hyperspécialisées sur une destination ou dans un accompagnement très pointu. »
Se saisir de l'outilArno Pons, délégué général du think tank Digital New Deal pour une souveraineté numérique, explique : « Avec Booking, les hôteliers ont perdu le lien avec le client. L’IA “agentique” va au-delà du référencement payant car elle sait produire des actions - un paiement, par exemple.
C’est pourquoi elle va amplifier le phénomène de désintermédiation qui ronge toute la valeur de la filière tourisme depuis dix ans. » Avant de mettre en garde : « Soit on laisse l’IA générative déployer tout son potentiel chez des acteurs déjà en situation du monopole et c’est potentiellement mortifère, soit on se saisit de cet outil pour créer une IA du même niveau que celles des géants de la Tech ». Sa structure pousse le projet Gen4Travel, une IA agentique Made in France pour le voyage.
Le Journal de Saône-et-Loire