"Chaque année, on augmente le capital pour nos salariés, et ça donne du sens", explique le PDG d'Eiffage

Pour le PDG d'Eiffage, où 80% des salariés détiennent plus de 20% des parts de l'entreprise, l'actionnariat salarié repose sur une part de risques mais permet de garder les entreprises fondamentalement françaises ou européennes.
/2023/09/26/isabelle-raymond-6512b945b56dc043001618.png)
Le "conclave" sur les retraites touche à sa fin, avec les dernières négociations entre partenaires sociaux prévues mardi 17 juin. Alors que le système est en déficit et que bientôt, il n'y aura plus suffisamment d'actifs pour financer les pensions de retraite, une réflexion autour d'une part de capitalisation fait son chemin, tout du moins au sein du patronat.
Une mesure qui table sur le long terme, ce qui va dans le sens de la philosophie de Benoît de Ruffray, PDG d'Eiffage, entreprise des travaux publics, mais aussi président de Fondact, association qui promeut la participation des salariés à la vie de l'entreprise.
franceinfo : Épargne salariale, retraite collective, est-ce que c'est un bon moment pour pousser un certain nombre de sujets, à commencer par les sujets d'épargne en entreprise ?
Benoît de Ruffray : Oui, je pense que c'est un bon sujet parce que finalement, c'est une exception un peu française, et chez Fondact, ça fait bientôt 45 ans qu'on défend ces modèles. Derrière l'épargne salariale, vous avez la participation et les dispositifs d'intéressement et aussi l'actionnariat salarié, où on va encore plus loin.
"De manière générale, c'est un excellent élément pour éduquer l'ensemble des participants de l'entreprise à l'intérêt de préparer des projets à long terme. Et bien sûr, ça pourra servir aussi à la retraite."
Benoît de Ruffray, PDG d'Eiffageà franceinfo
Au sein des entreprises, les salariés ont dû décider si on leur versait leur épargne salariale ou s'il fallait la conserver au sein de l'entreprise. Est-ce qu'une réflexion fait son chemin sur l'épargne salariale aujourd'hui ?
Oui, je pense. Il y a plus de 415 000 entreprises qui utilisent ces dispositifs. Il y a un continuum. Souvent, la participation ou l'intéressement donne un supplément de capacité d'épargne et de pouvoir d'achat. Et on voit que beaucoup de nos salariés en prennent une partie pour leurs besoins immédiats, et en laisse une part pour leurs projets, immobiliers par exemple, ou la naissance d'un enfant. Et puis, de manière naturelle, ils préparent aussi leur retraite. Ils sont conscients que finalement, ils mettent une partie de leur épargne à très long terme. Ce sont des dispositifs, je pense, très intéressants et surtout qui font comprendre les dynamiques économiques à tous.
En 2024, l'épargne salariale a représenté 13 milliards d'euros et quand il faut choisir, 30% des salariés demandent à percevoir le montant - qui est imposable. Comment peut-on les inciter à investir sur le long terme ?
Je pense qu'il faut continuer cette éducation sur le long terme. Mais forcément, ça nécessite des dispositifs d'épargne retraite collectifs ou des dispositifs d'actionnariat salarié, qui donnent une capacité, dans les meilleures conditions fiscales d'ailleurs, de proposer cette épargne à long terme.
Donc vous incitez les salariés, pour l'année prochaine, ne pas percevoir leur part d'épargne salariale tout de suite ?
Ça dépend de la situation de chacun. Il y a des moments où on peut, il y a des moments où on peut un peu moins, mais en tout cas on est capable de réguler entre le besoin de court terme et le besoin de moyen et long terme.
Au sein d'Eiffage, l'entreprise que vous présidez, 80% des salariés sont actionnaires. Les salariés détiennent plus de plus de 21% des parts de l'entreprise. Qu'est-ce que ça change concrètement ?
Ça change que l'actionnaire de référence fondamentale, c'est collectivement l'ensemble des salariés. Et ce qui est très intéressant, c'est que ça a permis en son temps d'aider à garder l'indépendance en cas de raid boursier, et de ne pas se mettre dans les mains d'un concurrent étranger qui avait des projets plutôt de séparation entre nos activités de concessions et de travaux. Donc ça a soudé beaucoup le corps social de l'entreprise. C'est désormais quelque chose qui est partagé. Chaque année, on augmente le capital pour nos salariés. C'est un événement dans l'entreprise et je crois que ça donne du sens puisque vous vous sentez propriétaire quelque part d'une partie de vos actions.
Et je dis toujours à l'ensemble de nos équipes, même quand ils sont chez un client : l'excellence de leur travail, c'est aussi une part de ce travail qui reviendra. Il faut dire que les dispositifs de partage de la valeur dans l'entreprise, quand on additionne la participation, l'intéressement et cette part du résultat qui revient finalement aux salariés actionnaires, ça représente un excellent équilibre du partage de la valeur à long terme entre les actionnaires externes et les actionnaires salariés.
Et qu'est-ce que ça change au sein de l'entreprise en termes de dialogue social entre syndicats et direction ?
"Je peux vous assurer que la capacité de garder l'indépendance stratégique au sein du groupe, quand on est orienté sur où on veut réinvestir, ça intéresse."
Benoît de Ruffray, PDG d'Eiffageà franceinfo
Nous, on est fondamentalement européen. On continue d'investir en Europe et les investissements de l'entreprise, ce sont les emplois aussi de demain et le développement de l'emploi. Donc il y a une vraie cohérence d'ensemble entre l'actionnariat salarié et le dialogue social de l'entreprise.
Il s'est amélioré avec les salariés qui montent au capital petit à petit ?
Il a toujours été là depuis assez longtemps. Et les salariés sont finalement directement impliqués dans cette gouvernance de l'entreprise. On parle beaucoup d'ESG (critères non financiers d'une entreprise : Environnement, Social et Gouvernance). Et l'épargne salariale en général, tous les dispositifs, fondamentalement, jouent sur l'aspect social, sociétal puisqu'on partage de la valeur. Mais ils jouent aussi sur la gouvernance puisque les actionnaires salariés sont très représentés auprès du Conseil et donc à la stratégie d'entreprise.
Oui quand l'entreprise va bien et quand il y a des bénéfices à partager. Mais quand ça va mal, comme chez Renault où l'action a dévissé - elle a perdu plus de plus de 7% - la campagne d'actionnariat salarié vient de se terminer et les actions des salariés ont perdu de la valeur. Que pouvez-vous dire à ces salariés ?
D'abord, fondamentalement, l'actionnariat salarié et l'actionnariat en général, ça représente du risque et c'est du moyen, du long terme, voire du très long terme. C'est surtout ça qu'il faut garder à l'esprit. Ce que je dis toujours, dans les entreprises qui pratiquent l'actionnariat salarié, ce qui est important, c'est que ce soit l'affaire de tous. Quelle que soit son ancienneté. Et que chacun raisonne par rapport à ses capacités d'épargne. Il ne faut pas se tromper, on doit investir ce qu'on peut investir. Donc il faut le faire en conscience, par rapport à ses capacités et surtout ne pas le faire avec des aléas journaliers qui sont le propre des marchés financiers. C'est bien du moyen et du très long terme.
Et ça permet de garder une entreprise française ?
Fondamentalement française, voire européenne. Dans notre cas, c'est européen puisque les dispositifs sont aujourd'hui ouverts à tous les pays dans lesquels nous sommes durablement implantés. Je dis toujours à mes équipes et de manière générale à des entreprises qui pratiquent l'actionnariat salarié, comme dit Pierre de Coubertin : "L'essentiel c'est de participer", mais chacun en fonction de ses moyens. Et c'est ça qui pour moi donne de l'engagement à très long terme sur la performance de l'entreprise.
Francetvinfo