"Un drame que les politiques ne mettent jamais l’entreprise au cœur du système": les propositions de Sophie de Menthon pour redonner la priorité aux PME

Écrivaine, chroniqueuse, animatrice d’une émission de télé, mais surtout entrepreneure dans l’âme. Sophie de Menthon préside depuis trente ans le mouvement patronal Ethic (Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance). Elle est aussi à l’origine de la Fête des entreprises "J’aime ma boîte". Mais elle est surtout connue pour son franc-parler et ses prises de position bien arrêtées. De passage à Cannes ces derniers jours pour le Festival du film, elle n’a pas mâché ses mots en commentant l’actualité économique et politique française. Morceaux choisis.

Vous êtes en colère contre les politiques qui, selon vous, ne parlent pas assez de l’entreprise…

Oui, l’état de la France est tel qu’il faut que les dirigeants d’entreprise prennent le pouvoir et réagissent. C’est un drame que les politiques ne mettent jamais l’entreprise au cœur du système. Pendant que le Président Macron nous fait du Choose France et du "startup nation", des commerces ferment. Il faut aussi penser aux PME et TPE qui sont déjà présentes sur le territoire et les aider. L’état d’esprit français doit changer, et c’est en simplifiant immédiatement les règles administratives et en redonnant le pouvoir aux entreprises que cela se fera. Elles ne sont pas une variable d’ajustement, et le système social ne doit pas reposer sur elles.

Il faut acculturer les politiques à l’entreprise?

À Ethic, on lance ces prochains jours l’opération nationale "Député dans l’entreprise". On propose que les élus fassent un stage, sur la base du volontariat: passer une demi-journée à la compta, assister à une réunion commerciale… C’est avant tout une sensibilisation; on n’est pas là pour les former à être patrons!

Cela ne suffira pas…

Rien ne suffira. Nous sommes à un stade où on ne peut pas compter sur une baguette magique. Il faut tout reprendre à la base et acculturer les enfants, les professeurs, les politiques à l’entreprise… Mon prisme, c’est la solution entreprise. Il faut que le privé reprenne la main, que les chefs d’entreprise soient libres de se gérer sans être surchargés de taxes à chaque fois que quelque chose ne va pas…

Sans pour autant virer au libéralisme à outrance comme aux États-Unis…

Le libéralisme, c’est avant tout la liberté de s’installer et de commercer où on veut. L’Amérique n’est plus libérale mais capitaliste. Donald Trump a fait sauter le libéralisme et introduit un nouveau protectionnisme dans le monde.

Vous dites qu’il faut faire sauter le système du chômage français…

Notre pays a été déformé par le système politique et social, qui est trop généreux. C’est inadmissible qu’il y ait des métiers où on ne peut pas recruter. Si une personne est sans emploi, il faut qu’elle change de métier! Il faut mener une révolution française pacifique pour redonner du sens à la valeur travail. Notre pays ne s’en sortira que si les Français se bougent. Or pourquoi le feraient-ils, puisque l’État vient à leur aide? Résultat: ils veulent partir à la retraite à 60 ans. La CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) a proposé récemment de passer à 36 heures, mais les patrons n’ont rien osé dire. Il faut revenir sur les 35 heures et être plus ferme sur le chômage, tout en faisant la part des choses. C’est-à-dire en protégeant les salariés, en tenant compte de la pénibilité de certaines professions, en proposant des formations et des reconversions.

Il faudrait aussi que les patrons balaient devant leur porte et n’acceptent plus les aides de l’État…

Tout à fait, ils doivent aussi arrêter de demander toujours plus à l’État. D’où la tribune libre écrite avec Alain Madelin, "Les dix commandements du patron" [lire notre édition du 20 avril, Ndlr]: "Tu ne mendieras plus auprès de l’État" ; "tu cesseras d’exiger des lois protectrices pour favoriser ton secteur"…

Vous êtes vent debout contre Laurent Wauquiez notamment, qui affirmait qu’il n’y aurait pas un seul salarié sans papiers qui sera légalisé…

L’État interdit qu’on emploie des salariés sans papiers, et c’est normal. Mais c’est aussi le même État qui, sur présentation d’une activité professionnelle de 12 mois au cours des 24 derniers mois dans un métier ou secteur en tension, leur accordera une régularisation. Je propose le système de "green card", comme aux États-Unis. Que la personne recrutée ait le droit de séjour équivalent à la durée du contrat. Et je suis aussi contre le regroupement familial.

Quel serait le problème le plus urgent à traiter, selon vous?

Il n’y en a pas qu’un seul, mais il faudrait vraiment faire sauter le modèle syndical français pour avoir une offre plus large. Celui patronal a sauté, puisque des mouvements comme Ethic ou CroissancePlus [association des "entrepreneurs de croissance", Ndlr] existent.

Il faut maintenant absolument changer le mouvement syndical salarial, pour qu’on puisse parler à des gens normaux. Nos syndicats datent de l’avant-guerre et il n’y a que 10% des salariés syndiqués; il en faudrait 80%. C’est quand même dingue qu’une patronne et présidente d’un mouvement patronal comme moi le réclame, mais on a besoin des syndicats, et nos entreprises ne peuvent pas fonctionner si ses salariés n’ont pas de représentants.

Vous avez rencontré David Lisnard, le maire de Cannes, pour aborder la création d’un Musée international du cinéma…

Ce sera un musée interactif et ludique du cinéma du XXIe siècle, composé de plusieurs espaces dont un dédié au Festival de Cannes. Il devra être financé en partie par des fonds privés, et je ferai en sorte d’en trouver. Pour l’instant, Rachida Dati, la ministre de la Culture, est peu engagée sur ce projet, mais je vais me charger de la sensibiliser sur la question du financement.