À Draguignan, le maire lance une commission d’élus dédiée à la question des sans domicile stable

Nul ne peut ignorer dans le centre-ville de Draguignan la présence permanente de Sans domicile stable. Que ce soit sur le boulevard Clemenceau, au niveau du théâtre et de la supérette; autour de l’office de tourisme, et au parking Louis-Go, à côté de la Maison des sports et de la jeunesse; au croisement du boulevard Foch et de la rue Jean-Aicard, à proximité du magasin d’alimentation, ou encore rue des Endronnes.
Ces personnes, confrontées à une grande précarité sociale, psychologique parfois, errent toute la journée, souvent alcoolisées, parfois accompagnées de chiens. Elles abordent les passants dans l’espoir de glaner quelques pièces, souvent de manière agressive si elles essuient un refus. Le tout créant un sentiment d’insécurité prégnant, un peu plus exacerbé la nuit, dans le centre-ville dracénois.
L’iniquité territoriale dénoncéeUne problématique qui ne date pas d’hier. Loin de là (lire ci-contre). Pour autant, lors du dernier conseil municipal, Richard Strambio, dans une prise de parole libre, une fois l’ordre du jour passé en revue, a déclaré: "Je souhaite créer une commission ouverte à tout le monde sur la grande problématique inacceptable des Sans domicile stable. J’ai eu de la patience avec les associations déléguées à cette grande problématique. Il y a en plus des problèmes de psychiatrie, l’internement est fermé. Nous sommes obligés d’envoyer les gens à Pierrefeu ou à Fréjus Saint-Raphaël quand il y a de la place".
Et de poursuivre: "On a des personnes en grande errance et ce n’est absolument pas dans les prérogatives de la commune de les gérer." Et de s’indigner: "Je ne comprends pas l’iniquité territoriale. C’est-à-dire que dans les villes balnéaires, il n’y a peu ou pas de personnes sans domicile stable. On a l’impression que nous sommes tout à coup la cible dans l’arrière-pays parce qu’il y a des gens qui font de l’immobilier sur la misère humaine ou des associations qui ne font pas leur travail." Le premier magistrat annonce aussi qu’il va s’entretenir avec le nouveau préfet du Var, Simon Babre. "Car ce sont des êtres humains, des êtres en souffrance, il y a des addictions, des trafics, des marchands de sommeil. Et ce n’est pas à nous d’en supporter totalement les conséquences à la fois juridiques et financières."
L’État pointé du doigtLe maire dénonce aussi les associations chargées d’accompagner ces personnes. "C’est bien beau d’accuser notre police municipale ou la nationale de ne rien faire. Mais que font les services de ces associations déléguées par l’État? Moi, je vois des choses fermées à 19 heures." L’édile en a profité également pour attaquer sans le citer Philippe Schreck, député (Rassemblement national) de la 8e circonscription du Var, aussi élu municipal de Draguignan dont la présence aux conseils se fait rare. "À ceux qui postent des choses sur les réseaux en disant c’est ceci et cela, je leur dis qu’ils n’ont qu’à travailler et remettre des choses intéressantes à l’Assemblée nationale. C’est nous qui sommes sur le terrain."
Définir la prise en charge de ce public, sans stigmatiser"Il ne s’agit absolument pas de stigmatiser une tranche de la population qui est particulièrement vulnérable", a insisté Alain Hainaut, adjoint délégué aux affaires sociales lors de cette même séance. "La prise en charge des personnes sans domicile stable est une obligation, une compétence de l’État. Et, comme d’habitude, quand l’État ne s’en occupe pas, elle délègue aux communes ou aux associations, sans leur en donner les moyens", a dénoncé l’élu.
L’Avaf encore pointé du doigt"Alors, il y a quand même un bémol à mettre parce qu’il existe une association, l’Avaf pour ne pas la nommer, qui est largement subventionnée par les services de l’État, justement, dont le but est de s’occuper de ce public vulnérable. Mais qui peut exclure les personnes au moindre problème comme ses règlements intérieurs le permettent", a rapporté Alain Hainaut. "Et nous nous retrouvons avec ces personnes en train d’errer et de créer un sentiment d’insécurité, voire une insécurité réelle." Les élus dénoncent la posture de certaines associations. Elles voient les subventions de l’État comme une aubaine: "Ils s’installent, puis ne font rien ensuite."
Richard Strambio avait déjà pointé du doigt la structure en janvier 2025. Interrogé sur ses missions, Julien Coclet, directeur général de l’Avaf avait alors répondu: "Non. Je ne sais pas à quoi fait référence Monsieur le maire mais nous n’avons pas de médiateur. Cette tâche incombe à la maraude, au CCAS. Nous sommes un maillon dans la chaîne, à partir de l’accueil de jour sur une libre adhésion, avec un double objectif le logement et l’insertion, de retour vers l’emploi avec des ateliers. Nous avons un projet de société assez large."
Le CCAS en fer de lance?Et de faire une proposition étonnante. "À nos yeux, le Centre communal d’action sociale (CCAS) est en capacité d’apporter une tentative de réforme. C’est-à-dire que nous, avec les moyens que l’État donne à cette association, nous ferons mieux les choses", a estimé Alain Hainaut. "Nous connaissons également les médiateurs et médiatrices de rue qui peuvent faire baisser la pression aussi." Encore faut-il que l’État accepte d’allouer les moyens financiers et humains suffisant de manière pérenne.
"Si c’est pour nous dire de le faire, de nous subventionner pendant deux ans, puis après nous laisser nous débrouiller, ce n’est pas acceptable." Et Bernard Bonnabel, élu en charge des questions de santé, de rappeler la nécessité de réinstaller une véritable offre de psychiatrie sur le territoire. Un dossier complexe. La commission, elle, a d’ores et déjà commencé son œuvre. Une première réunion s’est tenue le 26 juin dernier. Celle-ci semble-t-il n’a pas tenu ses promesses (voir ci-dessous).
Une première réunion sans grande avancéeEn conseil municipal, Jean-Bernard Miglioli et les élus de son groupe de l’opposition avaient "accepté l’invitation." "C’est une réalité. J’étais avec mes proches et mon chien, une personne sans domicile ne pouvant pas acheter une bière au Spar nous a demandé de le faire pour lui. Mon fils refuse. Il nous a alors insultés", témoigne ainsi l’élu de sa propre expérience. "Des témoignages comme celuici, il y en a des centaines à Draguignan à l’heure actuelle. Et je suis tout à fait conscient que la responsabilité est collective. Elle ne peut pas émaner uniquement des services de police, de la municipalité, du maire de Draguignan et du conseil municipal", a-t-il estimé. "Il faut que l’État entende ces réalités." À l’issue de la première réunion de la commission en question, les élus d’opposition en ressortent circonspects.
"Lors de la commission, nous avons réaffirmé ce qui a été mentionné pendant le conseil municipal", a résumé Alain Hainaut, adjoint délégué aux affaires sociales. "Il faut que l’État et l’Avaf prennent leurs responsabilités", a-t-il insisté. "Hormis intervenir pour rétablir l’ordre public, nous ne pouvons rien faire de plus tant que le problème de fond ne sera pas traité."
"Très honnêtement, nous sortons de cette réunion dans l’attente sans trop savoir ce qui sera fait ou ce qui est faisable", a indiqué Jean-Bernard Miglioli. Les élus d’opposition ont adressé une lettre au maire. "Nous proposons l’organisation d’une réunion avec l’Avaf et la municipalité mais aussi avec la sous-préfète", a-t-il rapporté. "L’objectif de cette réunion serait de pouvoir, ensemble, analyser concrètement les difficultés rencontrées par l’Avaf dans l’exercice de ses missions [...] et les freins locaux qui pourraient entraver son action", est-il écrit dans la missive.
Philippe Schreck ne souhaite pas participerLe 26 juin, neuf jours après le conseil municipal en question auquel il n’était pas présent, Philippe Schreck, député Rassemblement national (RN) de la 8e circonscription du Var, et élu municipal d’opposition a réagi sur les réseaux sociaux.
"Le maire de Draguignan vient de façon surprenante de nous convoquer pour aborder la question des personnes sans domicile fixe. Je suis étonné, puisque lors des cocktails mondains, on nous dit qu’il n’y a pas de problème d’insécurité, que tout va bien, pas de problème d’incivilités et que les Dracénois qui se plaignent ont forcément tort", déclare-t-il dans une vidéo sur Facebook, en agrémentant ses propos de captures d’écran de publications ou d’articles au sujet d’agressions ou de désagréments causés par les SDS à Draguignan. "En vérité, la ficelle est un peu grosse à quelques mois des élections, au bout de presque douze ans ou treize ans, on s’aperçoit des difficultés… Alors je ne participerai pas naturellement à cette table ronde sur l’insécurité, sur les SDF. Je pense qu’il y aura pour ce faire des élections et que ce n’est pas à six mois de celles-ci que pour la première fois, on tente d’ouvrir des dossiers", lance-t-il. "Bien évidemment, je suis à votre disposition", conclut-il sans formuler la moindre proposition.
MUNICIPALES 2026. En mettant sur la table la question des Sans domicile stable (SDS) et celle de l’insécurité dans le centre-ville, Richard Strambio, maire de Draguignan, ouvre d’ores et déjà la campagne pour les élections locales prévues en mars 2026. Et ce d’une manière qui pose de nombreuses questions. Le moment choisi, à savoir à neuf mois de l’élection, permet à l’édile de mettre le doigt sur un sujet qui est, depuis plus de quinze ans, un incontournable du quotidien des Dracénois.
La temporalité choisie par le premier magistrat n’a pas échappé à Philippe Schreck, figure du Rassemblement national, lequel multiplie les prises de parole sur la question, l’insécurité croissante et le manque de moyens de la police municipale. Ce choix est d’autant plus maladroit qu’une commission aurait pu être créée bien plus tôt. Les faits divers se multiplient, le courroux des commerçants aussi, tout comme celui des usagers du centre-ville. La problématique revient sur le tapis par vagues. En 2017 déjà, puis en 2023, pour la dernière fois, après un été explosif pour ces personnes en grande précarité, lesquelles ont provoqué l’ire des riverains et des commerçants. Il n’y a rien de nouveau ici.
En procédant ainsi, Richard Strambio, candidat à sa propre succession en mars prochain, met la question sur la table, afin d’en sortir, de se donner un rôle actif sur la question, tout en rejetant la faute sur les autres. Pas plus de perspective à l’horizon à travers cet effet d’annonce. Il n’y a pas non plus de solution de la part de Philippe Schreck, du Rassemblement national. Ce dernier veut bien écouter les doléances, surfant ainsi sur le mécontentement général, tout en prenant le temps de composer la liste pour son parti en vue du scrutin municipal.
S’il est clair que l’État doit prendre ses responsabilités, cela doit se faire avec le concours de la commune. Un certain immobilisme semble animer les élus municipaux en poste depuis deux mandats, lesquels se réveillent à l’aube d’un nouveau scrutin. Quels seront les fruits de cette commission ? Là est la question, d’autant que tout sera soumis au résultat des urnes en mars prochain.
Var-Matin