Attentat raciste à Puget-sur-Argens: que représente la menace terroriste d'extrême droite en France?

Un tournant pour le parquet national antiterroriste. Après l'attentat raciste ayant fait un mort et un blessé à Puget-sur-Argens samedi 31 mai, le PNAT s’est saisi de l’enquête, une première pour un attentat relié à l'ultradroite sur le sol français.
Le PNAT s'est saisi parce que le message de revendication publié peu de temps après les faits par le tireur présumé contenait, selon une source proche de l’enquête, "des revendications politiques" et un "discours hostile à l’immigration".
"Ce dossier terroriste est le 20e qui peut être attribué à cette mouvance" depuis 2017, a souligné Jean-François Ricard, ancien procureur national antiterroriste, sur le plateau de BFMTV, ce lundi 2 juin.
"C'est le premier comme crime commis, réalisé, mais c'est loin d'être le premier", poursuit-il, évoquant "des affaires tout à fait sérieuses avec des petits groupes qui s'entraînaient pour commettre de véritables massacres."
Lors d'une audition devant une commission d'enquête parlementaire en 2016, Patrick Calvar, patron de la DGSI, déclarait craindre "une confrontation inéluctable" entre "l'ultradroite et le monde musulman". Les récents meurtres de Hichem Miraoui à Puget-sur-Argens et Aboubakar Cissé dans une mosquée de la Grand-Combe le 25 avril illustrent une mutation du paysage sécuritaire français, dans lequel la menace d'ultradroite prend une ampleur inédite.
Cette violence est dirigée "en particulier contre les musulmans et les personnes d'origine arabe", souligne un rapport sur le terrorisme d'extrême droite en Europe depuis les années 90 réalisé par le centre de recherche sur l'extrémisme de l'université d'Oslo.
Depuis fin 2016, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a déjoué 19 projets d'attentats fomentés par des individus ou groupes d’extrême droite, contre 40 pour la menace islamiste, encore considérée comme prioritaire.
L'ancien procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard, tisse un lien entre les deux mouvances dans sa structure et l'équivalence des transmissions idéologiques. Les membres de cette mouvance "sont très marqués par les idéologies notamment diffusées aux Etats-Unis" mais également popularisée en France par l'extrême droite, et l'essor de théories politiques dont celle du "grand remplacement" initiée par l'écrivain d'extrême droite Renaud Camus.
"Il y a des courants suprémacistes américains abondamment diffusés sur les réseaux avec des images ultraviolentes de camps d'entraînement, qui vont pousser un certain nombre de jeunes à s'inscrire dans cette logique très radicale avec des camps d'entraînement dans certains pays d'Europe de l'Est avant de revenir avec l'intention éventuellement de frapper sur le territoire", ajoute-t-il.
Pour Guillaume Farde, consultant police-justice pour BFMTV et chercheur associé au Cevipof, "à l’instar des autres formes de terrorisme, le terrorisme d’ultra droite ne surgit pas de nulle part. Il se nourrit des discours désignant certaines communautés comme étant les ennemis à combattre".
À Puget-sur-Argens, le suspect de l'attentat a eu des propos virulents dans des vidéos de revendications diffusées sur les réseaux sociaux. Dans ces vidéos, Christophe B. a tenu des discours politiques très hostiles envers l'immigration et fait notamment référence à Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front National (FN) devenu Rassemblement national (RN).
Par ailleurs, une caractéristique essentielle sépare le djihadisme et la mouvance d'ultra droite, à savoir l'appartenance à une organisation. "Depuis une trentaine d'années, un grand changement" s'opère, soutient Jean-François Ricard.
La seule appartenance à une organisation faisait que l'acte commis par le militant était un acte terroriste. "Depuis, les choses sont beaucoup plus diluées, donc difficile à comprendre. Pour les djihadistes, il y a une idéologie commune, ici c'est plus compliqué. Donc il faut se rattacher aux éléments matériels du dossier, la revendication en l'espèce."
À l'instar des attentats d'extrême droite perpétrés par Brenton Tarrant, à Christchurch en Nouvelle-Zélande, ou Anders Breivik, à Oslo, les attaques d'ultradroite sont généralement le fait d'un seul individu. Pour Jean-François Ricard, "c'est en ce sens qu'elle reste une menace très inquiétante".
Cette déstructuration rend leur repérage plus complexe, même si la mouvance "est parfois un peu moins prudente" en ligne et sur les réseaux sociaux, poursuit Paul Conge, journaliste police-justice à BFMTV et auteur du livre Les tueurs d’extrême droite.
L'article 421-1 du Code pénal, qui définit l'infraction terroriste, exige que les faits aient pour but de "troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur", rappelle Jean-François Ricard.
La qualification terroriste n'avait, notamment pas été retenue, pour la tuerie raciste du 23 décembre 2022 rue d'Enghien à Paris ayant fait trois morts et quatre blessés parmi la communauté kurde, qui était expressément visée.
"Ce choix de qualification fait partie, il faut le reconnaître, des difficultés les plus intenses que l'on peut rencontrer. On doit travailler à partir d'éléments très concrets, matériels uniquement, sans aucun préjugé quelle que soit la gravité des faits", rétorque l'ancien procureur antiterroriste.
Alors que les débats sur la reconnaissance du terrorisme d'ultradroite se multiplient, Jean-François Ricard souligne que "la difficulté est de distinguer la simple discussion avec la volonté de passer à l'acte".
Ce flou, alimenté par l'absence d'organisation constituée, contrairement aux années 1970-1980 où le groupe Charles-Martel opérait notamment, rend l'identification des profils dangereux plus difficile.
Avant Puget-sur-Argens, six homicides ont été attribués à des sympathisants d'extrême droite depuis 2016. Chaque année, environ 50 agressions physiques sont recensées en France comme étant liées à l’ultradroite.
Un chiffre en constante hausse depuis 2019, selon les données compilées par Paul Conge dans Les tueurs d’extrême droite. En juillet 2024, 67 personnes issues de cette mouvance étaient incarcérées pour des faits de terrorisme.
Selon le rapport sur le terrorisme d'extrême droite en Europe de l'université d'Oslo, la France fait figure d'exception en Europe dans la mesure où le pays est l'un des rares à voir les actes violents d'ultradroite augmenter ces dernières années.
"La France pourrait évoluer dans une direction différente de celle de la plupart des autres pays d'Europe de l'Ouest", note le rapport, qui souligne que "la polarisation politique croissante de la France a aggravé cette violence".
Ajoutant: "Si la violence d'extrême droite en France reste moins fréquente qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni, sa persistance et son escalade récente indiquent une relation complexe entre les stratégies électorales de l'extrême droite, la polarisation de la société et la mobilisation violente".
Les services de renseignement français estiment à 3.300 le nombre de personnes actives dans cette mouvance, dont 1.400 sont fichées S, dénombre Paul Conge, dans son livre Les tueurs d’extrême droite.
"Beaucoup viennent de milieux ruraux, sont armés en raison de leur activité", que ce soit la chasse ou le tir sportif (comme dans le cas du suspect de Puget-sur-Argens, NDLR) explique Guillaume Farde, Ces derniers peuvent "être tentés par le passage à l'acte violent lorsqu'ils cèdent à certains discours".
Le profil des auteurs ou présumés auteurs d'actes terroristes est hétérogène. Ces derniers peuvent être "très jeunes ou quinquagénaires, souvent peu diplômés, passionnés d'armes ou d'explosifs", note Guillaume Farde.
Ce jeudi 5 juin, Christophe B., suspect de l'attentat raciste de Puget-sur-Argens, a été mis en examen et placé en détention provisoire. Avant son jugement, un autre procès qui concerne la menace de l'ultradroite est attendu.
16 membres du groupuscule AFO, pour Action des forces opérationnelles, interpellés en 2018 car suspectés de projets terroristes anti-musulmans, sont jugés à partir de ce mardi 10 juin.
BFM TV