Commission d’enquête sur TikTok : le grand n’importe quoi

On y a parlé d’éléphants, on y a fait des blagues… Ce mardi 10 juin, l’Assemblée nationale a semblé accueillir un cirque. À l’occasion de la commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, les députés ont auditionné cinq influenceurs, sélectionnés sur la base d’une consultation citoyenne de grande envergure. Arthur Delaporte, député socialiste et président de la commission, affirmait mardi matin au micro de RMC avoir reçu « plus de 30 000 réponses ». Une simple question était posée aux sondés : « quels sont les influenceurs qui vous choquent ? ». Les noms ressortant le plus souvent ont été retenus, à savoir Alex Hitchens, Manon et Julien Tanti, AD Laurent et Nasdas.
Ces auditions n’auront pas donné lieu à de grands moments de politique. Et c’est Alex Hitchens, de son vrai nom Isac Mayembo, qui a ouvert le bal. L’influenceur s’est fait connaître pour ses idées d’extrême droite et ses contenus misogynes et masculinistes dans lesquels il compare régulièrement les femmes à des « putes ». Il est suivi par 650 000 personnes sur la plateforme.
L’audition, censée durer 45 minutes, s’est terminée en 20. Présent en visioconférence, Alex Hitchens s’est rapidement énervé lorsqu’il a été confronté par Arthur Delaporte à des propos qu’il avait tenus sur son compte : « Vous prenez son téléphone, si elle refuse, c’est une pute, fin de relation ». Isac Mayembo a tenté en vain d’interrompre le président de la commission jusqu’à ce que ce dernier fasse couper son micro. L’occasion était parfaite pour l’influenceur qui en a profité pour tirer sa révérence dans un simple « au revoir monsieur, bonne journée », avant de raccrocher au nez des députés. Recontacté, il ne répondra pas.
Audition suivante : celle d’Adrien Laurent, alias AD Laurent. L’influenceur et « créateur de contenu pour adultes », comme il le précise, était suivi par 1,8 million avant la suspension de son compte TikTok en mai dernier, suite à la demande d’Aurore Bergé. La ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes s’est inquiétée de la publication de contenu qui ancrerait « une culture de l’hypersexualisation et de la soumission des femmes ».
Une critique confirmée lors de l’audition, lorsque, dans un sourire à peine dissimulé, l’ancien candidat de télé-réalité décrit une vidéo humoristique dans laquelle il compare son sexe à la trompe d’un éléphant, provoquant l’amusement de quelques députés. Interrogé sur ses interactions avec des mineurs sur ses lives, l’influenceur, soucieux de couvrir ses arrières, se met à réciter les conditions générales d’utilisation de la plateforme, stipulant que si le réseau social confirme la minorité d’un utilisateur, il « ne pourra pas accéder au live. Accéder, ça veut dire avoir accès au live », avec une pointe de mépris dans la voix.
S’ensuit l’audition d’un couple d’influenceurs, rendus célèbres par leurs participations à des émissions de télé-réalité, Manon et Julien Tanti. Ils cumulent à eux deux près de deux millions d’abonnés sur TikTok. On leur reproche notamment l’utilisation de leurs deux enfants en bas âge à des fins monétaires, accusation que Manon Tanti dément, feignant l’ignorance des lois, malgré une ancienneté certaine en tant qu’influenceuse sur les réseaux sociaux… Elle est bien plus sûre d’elle, lorsqu’elle assure ne pas être « une influenceuse problématique ».
Celui qui traîne cette réputation, en revanche, c’est Nasser Sari, alias Nasdas. Le vidéaste fait quotidiennement rayonner Saint-Jacques, son quartier de Perpignan, devant les 9,2 millions de personnes qui le suivent sur Snapchat, un autre réseau social. C’est en tout cas ce qu’il défend. Dans la réalité, il est souvent accusé d’exploiter la fragilité des plus jeunes, qu’il filme régulièrement dans des situations dégradantes. Nasdas s’est d’abord dit étonné d’être convoqué à l’Assemblée, lui qui assure n’avoir gagné que « 5 000 euros en 5 ans » grâce à TikTok faisant mine d’oublier les revenus sur les autres réseaux. Parfois très agressif, l’influenceur s’est attaqué frontalement au député républicain Antoine Vermorel-Marques dont il a jugé les questions déplacées et hors du cadre de la commission. Ce dernier lui avait demandé s’il avait déjà versé de l’argent à un parti politique.
Interrogé sur ses revenus, il paraît tout d’un coup beaucoup moins sûr de lui et perd de sa superbe. Il consulte même son avocat pour répondre « quelques centaines », sous-entendu, quelques centaines de milliers d’euros par mois. Tentant de reprendre le dessus sur l’assemblée qui lui fait face, il questionne Arthur Delaporte sur son salaire. « Le salaire net d’un député, après impôt, c’est à peu près 5 000 euros », rétorque le député, calmement. Interrogé ensuite sur la présence de chauffeurs devant l’Assemblée, il explique, un brin paternel, que les dix chauffeurs font de la dépose pour les 577 députés.
Les auditions du mardi 10 juin de la commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, n’auront au final pas atteint les objectifs souhaités par les députés, qui semblent même déçus. « Je regrette aussi que nous n’ayons pas été en mesure d’approfondir la façon dont la plateforme gère (encourage ?…) ces contenus problématiques », a publié sur son compte X la députée macroniste et rapporteure de la commission Laure Miller au lendemain des auditions. Un avis partagé sur le même réseau social par son collègue Stéphane Vojetta, député macroniste : « Les auditions d’influenceurs hier à l’Assemblée nationale n’ont pas vraiment apporté de réponses enrichissantes à nos travaux »
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