En Nouvelle-Calédonie, les indépendantistes proches de rejeter l’accord de Bougival

Une semaine aura suffi pour que le vernis de l’unité s’effrite et laisse apparaître les premières dissensions autour de l’accord «historique», signé le 12 juillet à Bougival (Yvelines) entre les indépendantistes et les non-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie. Lundi 21 juillet, les membres de la commission exécutive de l’Union calédonienne (UC), principale composante du Front de libération nationale, kanak et socialiste (FLNKS), ont annoncé qu’ils ne soutiendraient pas le texte en l’état.
De retour de Paris, l’équipe de négociation, pourtant emmenée par le président du parti et signataire, le député Emmanuel Tjibaou, n’est pas parvenue à les convaincre. Les délégués de l’UC considèrent que «les fondamentaux du combat du peuple kanak n’y apparaissent pas», notamment la possibilité de sortir un jour «du joug colonial». Les avancées qu’offrirait ce compromis vers l’indépendance de l’archipel, telles que la reconnaissance d’un Etat et la nationalité calédonienne, ne sont à leurs yeux que «des attributs de souveraineté de façade».
«La nationalité n’en est pas une, car assujettie à la nationalité française, le transfert des compétences régaliennes présente des verrous infranchissables, la reconnaissance internationale n’est pas clairement précisée et enfin le dégel du corps électoral est synonyme de recolonisation de notre pays», écrit le secrétaire général de l’UC, Dominique Fochi.
Réunis en bureau politique mardi 22 juillet, les différents «groupes de pression» du FLNKS ont, eux aussi, émis un «avis très réservé» sur l’accord. «Il est évident que la trajectoire vers la pleine souveraineté du pays manque de perspectives claires», regrettent-ils, pointant «l’omniprésence de l’Etat à chacune des étapes à franchir» pour y accéder. Les instances du mouvement doivent se réunir ce week-end pour décider de leurs positions respectives sur l’accord, avant une convention du FLNKS, prévue le 2 août, lors de laquelle une ligne commune sera adoptée.
Ces déclarations se font dans le prolongement des critiques répétées depuis le 12 juillet au sein du camp indépendantiste, à l’encontre d’un document jugé trop éloigné de la proposition faite par Manuel Valls, début mai à Deva, qui devait pourtant servir de «plancher de négociations» aux aspirants à la pleine souveraineté. «66 fois le mot Nouvelle-Calédonie, zéro fois le mot Kanaky […] Et il y en a encore qui vont dire que c’est un bon accord», avait déjà déploré le Mouvement des océaniens indépendantistes.
L’absence de la signature de Christian Tein, président du FLNKS, exaspère également les militants. Incarcéré pendant un an en métropole pour son rôle supposé dans les émeutes de mai 2024 avant d’être libéré en juin, il a suivi de près la séquence de négociations à Bougival. Mais son rôle dans la validation in extremis de l’accord par la délégation du Front demeure incertain. Il est jusqu’à maintenant resté très discret. «Le président du FLNKS nous a dit qu’il faut communiquer», a simplement indiqué Emmanuel Tjibaou, lors d’une conférence de presse organisée le 18 juillet par l’équipe de négociation. Une première prise de parole officielle, qui avait déjà des airs de rétropédalage : «C’est bien un projet d’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie sur lequel nous avons posé nos signatures, pas un accord définitif», avait affirmé Aloisio Sako, un des cinq signataires de la délégation.
Ce revirement des indépendantistes radicaux a conduit Manuel Valls, en déplacement en Polynésie française, à alerter sur le risque de «chaos» et d’«explosion sociale» que provoquerait le rejet de l’accord, sur lequel les Calédoniens seront appelés à s’exprimer en février 2026. Plus d’un an après les émeutes qui ont secoué l’archipel, l’inquiétude d’une reprise des violences grandit, alimentée par une série d’actes de délinquance qui a agité le territoire ces derniers jours.
Des violences urbaines ont été constatées ce week-end dans les quartiers populaires de Nouméa, où est née la crise insurrectionnelle de mai 2024. Le phénomène a également atteint d’autres communes de Brousse (zones rurales). Dans le Nord (dont la province est dirigée par les indépendantistes), plusieurs incendies d’origine volontaire sont survenus, d’abord dans une entreprise à Koné, puis dans un dépôt de bus, à Poya. Sans qu’il soit possible de faire directement le lien avec la signature d’un accord, ces faits nourrissent un climat de tensions au sein de la population. La situation a poussé les maires de cinq communes à signer un communiqué pour appeler l’Etat à une «réaction immédiate et coordonnée» face à ce qu’ils considèrent comme une «montée en puissance de la délinquance».
«Ces exactions ne sont pas des faits isolés : elles sont le symptôme d’un territoire profondément fracturé», estime l’antenne locale du Rassemblement national. Opposé à l’accord signé à Bougival, le parti d’extrême droite voit dans ces actes les conséquences d’un compromis qui «divise» et «échoue à restaurer l’ordre». «La signature d’un accord, aussi important soit-il, n’est pas une garantie de sécurité. L’Etat le sait et doit agir en conséquence», a également commenté Nina Julié, élue non-indépendantiste de la province Sud (à majorité loyaliste). Le haut-commissariat a annoncé le renforcement des dispositifs de sécurité de la police nationale et de la gendarmerie afin «d’être plus visible et réactif sur l’ensemble du territoire».
Libération