« Fin du reportage et de l’investigation… Rachida Dati veut des médias publics comme ceux de Bolloré » : entretien avec l’historien Alexis Lévrier

Pourquoi est-ce important d’avoir un audiovisuel public fort ?
Tous les médias ne peuvent pas être possédés par des milliardaires. En termes de pluralisme, ce serait évidemment très dommageable. Lorsqu’une société tend vers un régime illibéral, autoritaire, la presse et l’audiovisuel public trinquent en premier.
La France a connu cette tentation au moment de l’ORTF. Aujourd’hui, celle-ci revient : non pas par la privatisation, mais par le biais d’une mise sous tutelle de l’audiovisuel public, qui gêne le pouvoir par son indépendance. Pour éviter que l’audiovisuel, en souffrance, soit racheté par des oligarques, nous avons besoin qu’il appartienne vraiment aux citoyens. C’est ça, le service public.
En quoi Laurence Bloch et Rachida Dati peuvent affaiblir l’audiovisuel public ? Quels sont les dangers ?
Le positionnement de Laurence Bloch (ancienne directrice de France Inter et coautrice d’un rapport sur l’audiovisuel public – NDLR) est incompréhensible. Veut-elle jouer un rôle au sein de cette holding soutenue par la ministre de la Culture ? Rachida Dati n’avance pas masquée.
Elle assume sa position avec des propos dénigrants et hostiles au journalisme de l’audiovisuel public. Elle souhaite la fin du reportage, de l’investigation et veut des médias, comme ceux de Vincent Bolloré, où il n’y a ni d’enquête ni révélations sur la corruption des dirigeants politiques.
La ministre de la Culture n’est pas la seule à vouloir la fin de la radio et de la télévision publiques. Lorsque est sorti le Complément d’enquête sur les agissements de Gérard Depardieu, Emmanuel Macron a mis en cause l’émission en parlant d’un montage. Il a donc repris une fake news du groupe de Bolloré. Remettre en question les compétences des journalistes et affaiblir les médias publics dans leurs fonctions critiques, c’est une volonté de mise sous tutelle.
Comment peut-on financer l’audiovisuel public ?
La solution serait de rétablir la redevance. Au lieu de la faire évoluer, elle a été supprimée et l’audiovisuel en est sorti affaibli. Sur ce point, une marche arrière est nécessaire. Et, pour cela, il faut développer un impôt plus juste afin qu’un ouvrier ne paye pas la même somme qu’un cadre supérieur. Oui, les impôts sont importants puisque ces médias appartiennent aux citoyens.
Comment mieux garantir l’indépendance des journalistes ?
Les médias privés de Bolloré et de Stérin dominent le paysage. Ils imposent leurs thématiques, leur vocabulaire. Certains grands médias ont tendance à leur emboîter le pas. Pour l’indépendance des journalistes, nous devons continuer de renforcer les syndicats et Rachida Dati doit être démise de ses fonctions.
Lorsque l’on voit la séquence de l’émission C à vous où elle menace le journaliste Patrick Cohen, c’est d’une violence inouïe. Heureusement qu’il reste les journalistes des médias indépendants et certains de l’audiovisuel public.
Leur travail a grandement servi notamment au moment des législatives : ils ont fait leur travail en montrant le vrai visage du Rassemblement national par exemple. Grâce aux interviews centrées sur les faits, les journalistes ont renvoyé l’extrême droite à ses véritables motivations et à sa propre incompétence.
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L'Humanité