« Il y aura une reconnaissance de l’État palestinien, c’est le sens de l’Histoire »

Une chaleur moite s’est emparée des rues de la capitale, l’orage menace. La colère aussi. Celle de ces milliers de manifestants, rassemblés ce samedi 14 juin à Paris, mais également partout en France, pour réclamer la fin du « génocide » en cours dans la bande de Gaza. Les actualités de la veille, celles des bombardements israéliens l’Iran et ses sites nucléaires et la réplique de Téhéran, sont dans toutes les têtes. Danielle, une petite dame aux grandes lunettes noires, est inquiète : « On sent bien que ça peut dégénérer cette fois-ci. » À 77 ans, l’ancienne documentaliste de l’Éducation nationale se mobilise depuis de nombreuses années pour les droits des Palestiniens. Mais cette fois, c’est différent. D’abord à cause de la situation humanitaire catastrophique des Gazaouis « qui dure depuis bien trop longtemps », mais aussi à cause de ce nouvel épisode guerrier israélien. « Il faut absolument rétablir la paix dans la région, ce qui se passe entre l’Iran et Israël, on sait comment ça a commencé, mais on ne sait pas comment cela se terminera », craint-elle.
À une dizaine de mètres de là, sur la place de la République, une tribune a été montée pour accueillir les militants de la Flottille de la liberté, libérés jeudi par Israël après avoir été détenus illégalement. Ils avaient été arraisonnés dans les eaux internationales. Deux Français, le journaliste Yanis Mhamdi et le marin Pascal Maurieras, n’ont pas encore été relâchés, tout comme un militant néerlandais. En attendant leur arrivée, la foule qui grossit peu à peu se rassemble autour des slogans « Gaza, Gaza, Paris est avec toi » ou « Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide ». Rima Hassan, députée européenne insoumise et participante au voilier humanitaire le Madleen, prend le micro. Elle est acclamée vivement. Elle appelle à des sanctions contre Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien, qui « doit être arrêté ! Emmanuel Macron doit nous entendre là où il est : la mobilisation se poursuivra jusqu’à la libération du peuple palestinien », lance-t-elle sous les applaudissements de la foule.
L’enjeu de la reconnaissance de l’État de Palestine
Cette détermination est partagée par l’ensemble des anonymes qui forment les cortèges, colorés par les drapeaux de la Palestine, mais aussi par ceux de la CGT, CFDT, FSU, Solidaires et Unsa. L’intersyndicale a appelé à rejoindre partout en France les mobilisations en soutien au peuple palestinien. Un appel entendu par le Collectif national pour une Paix Juste et Durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI) et les partis de gauche. « L’enjeu de cet appel intersyndical est de mettre la pression sur le gouvernement ! Et de rappeler qu’il n’y a pas de progrès social s’il n’y a pas de paix », confie Gérard Ré, membre du bureau confédéral de la CGT. Tayeb Khouira, secrétaire national de Solidaires, abonde : « Cela fait des mois que nous alertons sur le génocide en cours. Le monde du travail est légitime pour le dénoncer ! Il y a une vraie prise de conscience, comme on a pu le voir avec la mobilisation des dockers. » Ces derniers, au même titre que les participants de la Flottille de la liberté, sont les héros du jour. Ils reçoivent régulièrement de longues salves d’applaudissements pour leur refus de charger du matériel militaire à destination d’Israël.
Jean, tout de noir vêtu, est un habitué des manifestations. Contre la réforme des retraites, pour la Palestine, il est de tous les rassemblements depuis ses 16 ans. « J’en ai 75 aujourd’hui, ça fait un petit bout de temps », sourit-il. Lui aussi est inquiet, pour le sort des Palestiniens et pour le reste de la région : « Le gouvernement est dans une forme d’impunité totale. Il y avait déjà ce génocide en cours dans la bande de Gaza, avec cette volonté d’épuration ethnique assumée, et maintenant ce nouveau conflit avec l’Iran. L’avenir est extrêmement sombre si rien n’est fait. » Jean entrevoit tout de même un chemin vers la paix, à condition « qu’il y ait une reconnaissance immédiate et sans condition de la Palestine par la France, un arrêt de la coopération avec Israël, de la France, mais aussi des autres pays de l’Union européenne, et une réaction de la société civile israélienne pour dégager Netanyahou », imagine-t-il.
Des solutions simples partagées également par Vincent Boulet, adjoint au maire du 13e arrondissement de Paris et responsable du secteur international pour le Parti communiste français. « Il faut que la France, au même titre que les 148 pays qui l’ont déjà fait, reconnaisse l’État palestinien. Emmanuel Macron l’avait annoncé, il doit le faire maintenant. Pas besoin d’aller à New York pour ça », martèle-t-il. Un simple pas, le communiste assure également que des sanctions contre le gouvernement israélien doivent être prises : « Comme l’a réclamé le procureur de la Cour pénale internationale. La France doit aussi exiger la fin de l’accord de coopération entre l’Union européenne et Israël tant que la situation à Gaza n’aura pas changé. Il faut que la France se fasse entendre ! » Plus en devant de la manifestation, les slogans et les prises de parole se succèdent depuis le camion de tête. Certaines personnalités de gauche comme Sandrine Rousseau, Jean-Luc Mélenchon ou Sabrina Sebaihi des Écologistes suivent au pas.
Manuel Bompard, le coordinateur de la France Insoumise, est invité à dire un mot. Il enjoint le cortège à apporter son soutien à « Urgence Palestine après sa dissolution », et s’émeut de cette grande mobilisation qui se déroule sous ses yeux : « Nous sommes des dizaines de milliers de personnes partout en France. Nous sommes mobilisés ici, mais aussi en Europe et partout dans le monde. Les peuples se lèvent ! ». Selon la France Insoumise, 150 000 personnes sont présentes à Paris. « Embargo total » des relations commerciales avec Israël, sanctions contre le gouvernement Netanyahou, fin de la coopération de l’UE et reconnaissance de la Palestine, tout le monde s’accorde sur la voie à suivre. « Alors nous pourrons gagner et mettre fin au génocide à Gaza », assure l’insoumis. L’écologiste Sabrina Sebaihi prend la suite pour défendre elle aussi les mêmes solutions. « Nous ne serons pas complices, nous ne serons pas silencieux, nous continuerons à dénoncer ce qui se passe, nous continuerons à nous mobiliser ! », prévient-elle. La députée, après avoir appelé les présents à rejoindre les « centaines de Flottilles qui se préparent », conclut gravement : « Il y aura une reconnaissance de l’État palestinien, c’est le sens de l’Histoire. L’Histoire qui jugera ceux qui étaient du bon côté et ceux qui étaient complices de ce génocide. »
L'Humanité