Les frères ennemis de la Côte d’Azur: vers un duel explosif Éric Ciotti-Christian Estrosi aux élections municipales 2026

À moins d’un an des élections municipales, prévues en mars 2026, le maire de Nice Christian Estrosi, candidat à sa réélection, est déjà prêt à repartir à l'abordage.
Pour s’en apercevoir, il suffit de regarder cette séquence captée par France 3 et retransmise jeudi 3 juillet. Présent sur un bateau de police dans la rade de Villefrance-sur-Mer, l’édile alpague un responsable présent sur le ponton d'un paquebot géant, en lui indiquant qu’il ne peut être présent sur ces eaux, alors que la mairie souhaite limiter les passages de ces grands pollueurs.
"You are nobody here" (Vous n’êtes personne ici, NDLR), gronde-t-il en anglais à l'adresse de son interlocuteur. Tant pis si l'arrêté ad hoc est finalement suspendu par la justice, celle-ci indiquant que la métropole, dont Christian Estrosi a également la présidence, n'est pas compétente en la matière.
Tant pis, aussi, si certains opposants raillent cette sortie en mer. La séquence reste intéressante symboliquement: ici le patron c'est lui. Et il entend le rester.
L'ancien champion de France de moto n'a pas attendu longtemps avant de faire chauffer les pneus. "Je serai candidat à ma succession", a-t-il annoncé à Nice-Matin dès le 12 avril 2024, promettant de "veiller à ce que les gens vivent le mieux possible, se déplacent le mieux possible."
Pour lui, cette course municipale pourrait avoir l'odeur de l'essence. Davantage que les précédentes. En face, un certain Éric Ciotti, qui avait longtemps hésité en 2020, laisse peu de doutes quant à une possible candidature. Une candidature, qui serait sûrement soutenue par le Rassemblement national, même si le député des Alpes-Maritimes ne s'est pas déclaré officiellement.
L'affiche aurait des allures d'affrontement final. Car les deux hommes se livrent une guerre larvée depuis des années à Nice. Cela fait bien longtemps que leur amitié est révolue.

Ce temps où, à partir de 1988, Éric Ciotti a suivi Christian Estrosi dans son ascension, que ce soit au Parlement, au Conseil général des Alpes-Maritimes, au ministère de l'Aménagement du territoire sous Jacques Chirac... Avant de gagner ses galons grâce à son patron, devenant député, puis président du Conseil général du département.
Depuis 2010, l'idylle s'est progressivement transformée en confrontation personnelle sur fond de rivalité et de divergences de lignes politiques.
Sur les réseaux sociaux, Éric Ciotti ne perd pas une occasion de se payer son rival sur des sujets locaux, l'accusant tour à tour de mener une politique "anti-commerçant" ou d'avoir perdu le "sens des priorités" en organisant "des fêtes à un million d'euros". Raillant la sortie en mer de Christian Estrosi face au bateau de croisière, Éric Ciotti renomme son adversaire "Barbe Rouge" et commente la séquence: "A l'abordage avant d'être coulé".
Le maire de Nice rend les coups. Quand Éric Ciotti s'allie au RN, Christian Estrosi le compare à "un petit Pierre Laval" et ne manque pas de l'accuser de "trahison". Début juin sur Europe1, à l'évocation d'une possible candidature d'Éric Ciotti appuyée par le RN, l'édile philosophe: "il faut bien qu'il y en ait un (...) et on fera avec". Et de s'amuser des piques de son collègue à son encontre: "Il concentre son temps à parler de moi".
Il faut dire que les bons élèves du sarkozysme aux accents sécuritaires et anti-immigration n'ont jamais été aussi éloignés politiquement: l'un est aujourd'hui vice-président d'Horizons, le parti d'Édouard Philippe, quand l'autre a créé sa propre boutique, l'UDR, l'an dernier après avoir fait alliance avec l'extrême droite de Marine Le Pen aux dernières élections législatives.
Toutes les conditions sont réunies pour leur affrontement. Avec une question: l'ex-élève pourra-t-il devancer son ex-mentor?
Oui, espèrent logiquement ses soutiens. "Évidemment que Christian Estrosi peut être délogé. S'il a gagné, c'est parce qu'il y a un faible taux de mobilisation et qu'il n'y a pas de candidat fort face à lui avec un programme solide. Là, je doute qu'il y ait beaucoup d'absentéisme si Éric Ciotti déclare sa candidature", veut croire la députée Christelle d'Intorni.
Cet argument vaut surtout pour le précédent scrutin, où la participation, en pleine épidémie de Covid-19 avait atteint seulement 28,54% au premier tour et 27,75% au second. Autrement, celle-ci s'établissait 53 et 60% en 2008 et 2014, lors des deux premières victoires de Christian Estrosi.
Les partisans de ce dernier jouent la sérénité. "La candidature d'Éric Ciotti n'est pas mon sujet. De toute façon, on a toujours eu un candidat de l'extrême droite face à nous et on l'a toujours battu", souligne Hervé Cael, membre de la majorité municipale.
En 2008, Christian Estrosi l'avait en effet emporté contre le maire Jacques Peyrat - un ami de Jean-Marie Le Pen qui a logé au RPR puis à l'UMP entre 1998 et 2008 - et le PS représenté par Patrick Allemand, réunissant 41,33% des voix au second tour, quand ses adversaires glanaient respectivement 25,50% et 33,17% des suffrages.
En 2014, rebelote, avec une avance encore plus large: 48,71% pour Christian Estrosi, loin devant le FN de Marie Christine Arnautu (21,10%), Patrick Allemand encore (17,84%) et le divers droite Olivier Bettati (12,42%).
En 2020, le maire sortant faisait son meilleur score: 59,30% des voix en sa faveur au second tour, 21,30% pour Philippe Vardon, qui représentait alors le RN, 19,30% pour la liste des écologistes menée par Jean-Marc Governatori et Juliette Chesnel.
À chacun ses chiffres. Les ciottistes ont forcément apprécié les plus récents. Ceux des élections législatives anticipées. Ils sont sans appel: victoire de l'UDR dans les trois circonscriptions niçoises. Éric Ciotti a conservé la sienne, idem pour Christelle d'Intorni et Bernard Chaix en a gagné une, l'arrachant des mains du candidat de Christian Estrosi, Philippe Pradal. Lequel, comme les deux autres candidats du maire, n'a pas pu faire mieux qu'une troisième place.
De quoi affaiblir Christian Estrosi, selon ses opposants, qui ont ensuite dénoncé avec vigeur sa démission de la métropole en juillet 2024, suivie de sa réélection et d'une réorganisation de l'exécutif... sans les proches d'Éric Ciotti.
"Il a fait sa petite dissolution pour avoir la lumière sur lui, sanctionner ceux qui n'ont pas été à ses côtés et récompenser ceux qui l'ont soutenu", cingle Christelle d'Intorni.
En face, Hervé Caël appelle à distinguer le scrutin de 2024 de la bataille qui va suivre. "Je suis persuadé qu'une élection municipale et une élection législative, c'est tout à fait différent. Il faut resituer l'élection législative précédente dans son contexte contestataire. En dehors, d'Éric Ciotti, on ne peut pas dire que les autres candidats avaient une notoriété exceptionnelle. Ils ont été élus sur une étiquette", avance le conseiller municipal.
Reste que les ciottistes ne sont pas les seuls à observer avec appétit les résultats des législatives. La gauche, elle aussi, voit des signes prometteurs, alors que les candidats de l'alliance du Nouveau Front populaire ont terminé en deuxième position dans les trois circonscriptions niçoises.
Si elle n'a jamais réussi à prendre les rênes de la mairie sous la Ve République, elle espère jouer une carte et tirer profit de la confrontation Ciotti-Estrosi. "Je ne pense pas qu'il y aura un duel mais plutôt trois blocs différents au second tour", pronostique Jean-Christophe Picard, qui est l'un des trois élus écologistes au conseil municipal, assurant: "Le classement ne sera pas forcément celui que l'on attend."
Pour cela, il faudra éviter le scénario de 2020. Lorsque les écologistes étaient partis de leur côté, de même que les socialistes, ainsi que les communistes et insoumis qui avaient soutenu le collectif citoyen "Viva!". Seuls les premiers cités s'étaient qualifiés pour le deuxième tour.
Cette fois, socialistes, écologistes et communistes veulent faire front commun. Mais, pour l'instant, ils n'ont pas choisi leur tête de liste, ni réussi à convaincre les insoumis avec lesquels ils tiennent régulièrement des réunions.
"Nous, on n'est pas obsédé par les insoumis", dit Jean-Christophe Picard, qui ouvre la porte à deux listes distinctes, en admettant qu'il y aura "toujours des gens pas d'accord" à gauche.
Quels que soient les candidats sur la ligne de départ, les angles d'attaque semblent déjà trouvés chez les opposants de Christian Estrosi.. Gauche comme UDR dépeignent un élu centré sur sa communication plutôt que sur les Niçois.
Ils évoquent aussi "l'état des finances" de la ville, alors que le maire avait augmenté la taxe foncière en 2024, justifiant cette décision par la nécessité de maintenir un haut niveau d'investissements et de services publics.
En retour, Hervé Caël évoque un "excellent bilan" qui se vérifie "sur le terrain", selon lui, tout en reprochant à ses adversaires, et plus particulièrement à Éric Ciotti, d'"être dans l'opposition systématique", sans formuler "de propositions". Ce dernier "est contre tous les projets mais essaye de se mettre sur toutes les photos d'inauguration", grince-t-il.
Du classique pour les Niçois, habitués à cette salade. Pour l'instant, l'heure est encore à un certain calme, avant que les choses ne s'emballent. Les prochaines municipales? "Je n'y pense pas une seconde, je n'en ai pas le temps", assurait Christian Estrosi sur BFM Côte d'Azur le 6 février 2025, cherchant à se placer au-dessus de la mêlée. Un classique des élus sortants, candidats à leur réélection. Tous finissent toutefois par entrer à nouveau dans l'arène.
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