Mattéo Garguilo, héraut de la lutte contre les thérapies de conversion

Mattéo Garguilo souffle enfin. Installé confortablement au fond de son fauteuil, il a troqué le costard qu’il arbore d’habitude pour un débardeur blanc plus décontracté. Son marathon médiatique s’achève bientôt, les rencontres officielles avec les représentants de la Commission européenne aussi. À tout juste 21 ans, Mattéo a réussi mi-mai un tour de force : réunir plus d’un million de signatures pour faire interdire les « thérapies de conversion » dans l’Union européenne.
Ces pseudo-thérapies encore à l’œuvre dans certains pays européens et interdites en France en 2022 visent à « rectifier » l’orientation sexuelle des personnes homosexuelles, le plus souvent en usant de violences physiques et psychologiques. Le jeune homme porte ce projet dans un coin de sa tête depuis ses 16 ans et le visionnage d’un documentaire sur le sujet : « J’ai été choqué par les témoignages de ceux qui avaient vécu ces tortures. Je ne comprenais pas comment c’était possible d’infliger ça à quelqu’un. »
Une découverte d’autant plus violente lorsqu’il se rappelle les moments de doute qu’il a lui-même traversés avant d’accepter sa propre homosexualité. « Là d’où je viens, l’homosexualité est encore relativement taboue. J’ai moi-même brièvement cherché à savoir s’il y avait un moyen de ”passer à autre chose”. Aujourd’hui, je veux que plus aucun jeune n’ait à se demander si son homosexualité peut être soignée. » C’est au lycée qu’il entend parler pour la première fois de l’initiative citoyenne européenne (ICE), une procédure qui permet à n’importe quel citoyen européen d’amener le Parlement européen à débattre d’un sujet choisi, moyennant une importante récolte de signatures.
À la clé, une possible proposition d’acte législatif. Une idée commence à germer : utiliser cet outil pour en finir avec les thérapies de conversion. Mais à 17 ans à peine, le chemin pour y arriver paraît vertigineux. Il continue son parcours scolaire, intègre Sciences-Po et y rencontre un ami, Robin Noël.
« Un jour, nous discutons et je lui parle de cette idée un peu folle de lancer une ICE. À ma grande surprise, il me dit tout de suite qu’il veut en être. » Ensemble, ils créent l’association ACT, pour Against Conversion Therapy (contre les thérapies de conversion), « afin d’avoir une base légale » nécessaire au lancement d’une ICE.
Les débuts sont timides, Mattéo et ses deux camarades commencent par du porte-à-porte pour convaincre du bien-fondé de leur démarche. À force d’obstination, ils réunissent le soutien d’associations dans onze États membres. Et rien ne doit être laissé au hasard. La date de lancement est finalement fixée au 17 mai 2024, Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie.
S’ensuit une longue période d’attente. Pendant près d’un an, les signatures peinent à arriver. À une semaine de la date limite, il en manque encore les trois quarts. En désespoir de cause, ils sollicitent l’aide de la communauté LGBT. Le pari est gagnant. Grâce à leur soutien, tout s’emballe, les chanteuses Hoshi et Angèle, icônes LGBT qui cumulent à elles deux plus de 4 millions d’abonnés, partagent la pétition sur leurs réseaux sociaux.
Les signatures affluent en France, mais pas que. « Le mouvement féministe transeuropéen Ma voix, mon choix a fait un travail de dingue, on a pu atteindre des seuils de signatures dans plusieurs pays grâce à elles ! » s’émeut-il encore. Les politiques y vont aussi de leur partage : députés de gauche, l’ancien premier ministre Gabriel Attal… Et même Emmanuel Macron !
Dans la dernière ligne droite, Mattéo décide de mettre sa vie de côté : « Je n’ai pas beaucoup dormi. Quand j’ai vu l’engouement se créer, j’ai su qu’il fallait y aller à fond. Et pour la première fois de ma vie, j’ai raté un examen », s’amuse-t-il. Il ne le regrette pas et son implication porte ses fruits. En cinq jours, la pétition de l’étudiant récolte près d’un million de signatures. Du jamais-vu pour un projet d’ICE porté par une petite association indépendante.
Le 17 mai 2025, au lendemain de la clôture du recueil des signatures, Mattéo est invité à la Pride de Bruxelles, capitale exécutive de l’Union européenne. Là-bas, il prend place sur un char surplombant une foule de plus de 40 000 personnes où se mélangent militants LGBT, membres de la communauté et simples badauds. Intimidé par cette foule, il prend son courage en main et annonce officiellement le succès de sa campagne de signatures. « C’était un moment magique, se remémore-t-il, ému. Peut-être le plus beau de ma vie. »
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