Poursuivi par LFI pour injure publique, Raphaël Enthoven tente le contre-procès en « antisémitisme »

Parfois, un coup d’œil sur les bancs d’une audience est aussi éloquent que l’audience elle-même. Jugé pour injures publiques par La France insoumise (LFI), ce mardi 23 septembre à Paris, Raphaël Enthoven est venu entouré de nombreux soutiens.
Le parti politique qui le poursuit n’est représenté que par ses avocats. Le polémiste, pourtant dans le rôle de l’accusé, entend bien faire de son procès une démonstration contre LFI : « J’attends avec appétit mon procès contre le premier parti antisémite de France », s’est-il réjoui avant son audience.
« C’est le premier parti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à reprendre des clichés antisémites, y compris parmi les plus archaïques », abonde l’avocat de Raphaël Enthoven, Richard Malka, oubliant les nombreux dérapages d’Ordre nouveau puis du Front national.
Enthoven peut compter sur le président du Crif, Yonathan Arfi, le directeur du musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, Paul Salmona, et le président de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt, également collègue de l’accusé chez Franc-tireur, pour témoigner en sa faveur et soutenir sa charge contre LFI, qui déborde largement du tweet à l’origine du procès. « Ils soufflent sur les braises de l’antisémitisme et concentrent leurs attaques sur les figures juives du Parti socialiste », accuse Yonathan Arfi.
Mais de quoi parle-t-on ? Le 1er mai 2024, en pleine campagne pour les européennes, sur le réseau social X, où il est hyperactif, Raphaël Enthoven qualifie LFI de « mouvement détestable, violent, complotiste, passionnément antisémite ». Un tweet en réaction à une vidéo de l’exfiltration de l’eurodéputé Raphaël Glucksmann d’une manifestation du 1er Mai à Saint-Étienne, après qu’il a été pris à partie par des militants d’extrême gauche – dont il n’est jamais mentionné qu’ils appartiendraient à LFI.
Dans ce post, Raphaël Enthoven ajoute : « Ils sont tellement cons » et « on n’en peut plus de ce club de déficients qui tente de faire entrer le Hamas au Parlement européen », en référence à la Franco-Palestinienne Rima Hassan.
Le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon a porté plainte pour injure publique et réclame 10 000 euros de dommages et intérêts. « On ne peut pas supporter que M. Enthoven tienne des propos aussi graves : ça n’est ni drôle, ni légitime, ni justifié », réagit l’avocat de LFI, Me Mathieu Davy.
Les insoumis soulignent en outre que le contrat de législature du NFP qu’ils ont signé en 2024 appelle « sans ambiguïté à combattre tous ceux qui propagent la haine des juifs ». Peu importe pour Raphaël Enthoven : « Je livre une guerre acharnée à LFI », a-t-il admis à la barre. Le parti le lui rend bien. Il lui reproche notamment son soutien notoire à la politique du gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou.
Quand bien même LFI n’a jamais été condamné pour antisémitisme, ne propose aucune loi antisémite dans son programme, le polémiste s’évertue à la barre à prouver que le mouvement mélenchoniste « fait régner un antisémitisme d’atmosphère ». La preuve avec la liste des polémiques – elles sont nombreuses – qui ont abîmé le mouvement depuis plusieurs années.
Alors il déroule, d’autant mieux que LFI n’a envoyé aucun élu pour lui répondre point par point : « Quand Mélenchon accuse le Likoud de faire perdre la gauche en Grande-Bretagne, quand un député LFI utilise l’expression soralienne de dragons célestes, quand on qualifie les juifs de conservateurs et déicides comme Mélenchon, quand on qualifie un juif de sioniste juste parce qu’il est juif et non sioniste, quand on représente Cyril Hanouna en juif Süss, j’estime qu’on ne tombe pas sous le coup de la loi. C’est pourquoi cela doit être combattu sur le terrain de l’opinion. »
Autant de « raccourcis, de contre-vérités, de diffamations et d’exagérations. Tout cela nous a éloignés du tweet incriminé, l’inversion accusatoire est un classique », pointe Me Mathieu Davy. Et de marteler : « Non LFI n’est pas antisémite ! »
Des dérapages individuels forment-ils une ligne collective imputable à tout un mouvement ? Pour Raphaël Enthoven, l’affaire est entendue et a même abouti à l’agression de Raphaël Glucksmann (ce dernier accuse lui-même LFI d’en être à l’origine) : « Les insoumis sont les premiers à incriminer les effets des discours d’extrême droite, et je suis d’accord avec eux, lorsqu’il y a des violences ou des attentats d’extrême droite. On doit donc prendre en compte l’effet de leurs discours. »
Le problème, c’est que suivant la logique de « l’antisémitisme d’atmosphère », LFI peut être tenue responsable de tout. Des étudiants juifs sont contraints de changer de patronyme à l’université ? LFI. Des internautes postent des blagues ignobles sur la Shoah ? LFI. Par contraste, l’extrême droite, lavée de tout, apparaît comme la grande gagnante de ce procès.
Contrairement à 90% des médias français aujourd’hui, l’Humanité ne dépend ni de grands groupes ni de milliardaires. Cela signifie que :
- nous vous apportons des informations impartiales, sans compromis. Mais aussi que
- nous n’avons pas les moyens financiers dont bénéficient les autres médias.
L’information indépendante et de qualité a un coût. Payez-le.Je veux en savoir plus
L'Humanité