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Reconnaître les victimes, protéger les élèves, mieux contrôler l'enseignement privé... Ce que préconise le rapport parlementaire né de l'affaire Bétharram

Reconnaître les victimes, protéger les élèves, mieux contrôler l'enseignement privé... Ce que préconise le rapport parlementaire né de l'affaire Bétharram

Quarante auditions, plus de 140 personnes interrogées et des conclusions très attendues. Le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur les violences en milieu scolaire, menée par les députés Violette Spillebout (EPR) et Paul Vannier (LFI), est rendu public, mercredi 2 juillet, plus de quatre mois après le début des travaux. La présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Fatiha Keloua Hachi (PS), y évoque en préambule "un travail de fond sur l'impensable : des enfants, partout en France, livrés à des monstruosités".

A l'origine de cette commission, l'affaire Bétharram, raison pour laquelle une partie du rapport est dédiée aux "violences systémiques perpétrées pendant au moins un demi-siècle" dans cet établissement catholique, visé par plus de 200 plaintes d'anciens élèves. Le Premier ministre a lui-même été auditionné à ce sujet, le 14 mai, accusé de mensonge ou de mansuétude à l'égard des dirigeants du collège-lycée béarnais. Alors que sa fille a elle-même été témoin et victime de violences, François Bayrou a toujours nié avoir été au courant des abus. Fin juin, Paul Vannier a demandé que la justice soit saisie pour "faux témoignage".

En plus du retentissement politique pour le chef du gouvernement, l'affaire a permis de révéler les violences au sein d'autres établissements en France, dans le privé comme le public. "Des violences sexuelles derrière les murs trop épais d'une salle de classe, dans le silence de la nuit dans des internats. Des violences physiques aussi, parfois d'une violence inouïe, d'un sadisme absolu. Des humiliations à répétition, pour montrer l'exemple – celui d'une toute-puissance des adultes sur les enfants", dénonce Fatiha Keloua Hachi.

Les souffrances vécues ont laissé des traces indélébiles chez les victimes. "Quels adultes serions-nous devenus sans Bétharram ? (...) Certains auraient peut-être été des adultes plus ouverts, il y aurait eu moins de divorces et moins de dépressions. Assurément, plus de bonheur", écrit le lanceur d'alerte Alain Esquerre dans Le Silence de Bétharram, cité dans le rapport de la commission.

En plus d'analyser les ressorts des violences en milieu scolaire et de donner la parole à ceux qui les ont subies, Violette Spillebout et Paul Vannier formulent 50 recommandations. Franceinfo, qui a pu consulter le rapport avant la conférence de presse des corapporteurs prévue à 11 heures, vous les résume.

Reconnaître les victimes des violences à l'école

En premier lieu, les corapporteurs estiment qu'il est indispensable de proposer une réparation aux victimes de violences commises en milieu scolaire. "Un mot est souvent revenu, ce mot qui s'adressait aux adultes, à l'indifférence, à l'omerta : celui de 'colère', une colère d'autant plus forte que les victimes ont subi les souffrances et les cruautés dans l'indifférence ou l'aveuglement général, sans que jamais leurs bourreaux ne soient réellement inquiétés", peut-on lire dans le rapport. Ils recommandent ainsi de reconnaître la responsabilité de l'Etat dans "les carences ayant permis la perpétuation des violences" et proposent de créer un fonds d'indemnisation pour les victimes.

Violette Spillebout et Paul Vannier demandent aussi le lancement d'une "mission transpartisane" à l'Assemblée nationale, afin de formuler des propositions pour "rendre imprescriptibles certaines infractions commises sur les mineurs". Ils recommandant aussi de prolonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation pour les faits de violences volontaires commises sur un mineur. Ce délai est aujourd'hui de six ans pour les violences physiques, et de dix à vingt ans pour les violences sexuelles.

Protéger les élèves

Les violences à l'école n'appartiennent pas qu'au passé. Pour mieux protéger les élèves scolarisés aujourd'hui et demain, les corapporteurs suggèrent, par exemple, d'inscrire dans le Code de l'éducation et le Code de l'action sociale et des familles "l'interdiction de tout châtiment corporel ou traitement humiliant à l'égard des enfants". Mais aussi d'appliquer pour de bon les séances annuelles de sensibilisation à l'enfance maltraitée dans tous les établissements. L'objectif étant par ailleurs d'augmenter les subventions des associations qui interviennent dans ces séances, tout en rendant publics les critères de délivrance de leurs agréments.

Parmi les autres propositions, on trouve : contrôler "l'honorabilité" des personnes "au moment de leur recrutement puis tous les trois ans", systématiser les échanges d'informations entre l'Education nationale et la justice, rappeler aux autorités hiérarchiques l'impératif de prendre des mesures conservatoires, sans attendre le déclenchement d'une procédure judiciaire et dès lors que les violences signalées "apparaissent vraisemblables". Certains personnels ont en effet "témoigné d'une frilosité de l'administration" aux mesures conservatoires telles que la suspension, notent les corapporteurs.

"Le silence des adultes semble continuer de prospérer à bien des égards."

Violette Spillebout et Paul Vannier, corapporteurs de la commission sur les violences à l'école

dans leur rapport

Les députés veulent "produire et rendre publiques chaque année des données chiffrées, par académie et type d'établissement, permettant de mesurer les violences commises par des adultes sur des élèves", en croisant celles de "Faits établissement" (une application de signalement pour les équipes de direction) et du 119, numéro d'urgence pour les enfants en danger. Ce bilan chiffré s'appuierait également sur les signalements recueillis par une cellule nationale que veulent créer les corapporteurs, "Signal Educ". Elle serait "dédiée aux personnels et représentants de parents d'élèves ne souhaitant ou ne pouvant emprunter la voie hiérarchique".

Sur le sujet du recueil de la parole des victimes, le ministère de l'Education nationale a, de son côté, lancé en avril des projets de questionnaire à destination des élèves qui reviennent de voyages scolaires ou qui sont en internat. Ils ont été expérimentés dans quelques établissements en fin d'année scolaire et doivent être généralisés à la rentrée de septembre.

Une partie du rapport est aussi dédiée aux inspections. Violette Spillebout et Paul Vannier veulent notamment revaloriser le métier d'inspecteur, effectuer davantage de contrôles dans les internats et systématiser le caractère "inopiné" des enquêtes administratives. Enfin, les corapporteurs proposent de diffuser "systématiquement" un appel à témoins lors de ces enquêtes administratives, d'intégrer au Code de l'éducation une gradation des sanctions "selon la nature des manquements constatés" dans les établissements, et de permettre au recteur de proposer au préfet de fermer un établissement "quel que soit le motif invoqué".

Former le personnel et lui donner des moyens

La commission d'enquête conclut de ses travaux qu'il est nécessaire d'impliquer le personnel de l'éducation, qu'il s'agisse des enseignants, des assistants d'éducation ou encore des chefs d'établissement, dans la lutte contre les violences à l'école. Pour ce faire, le rapport préconise de leur garantir une formation initiale et continue. Il suggère également d'établir un "plan pluriannuel" de recrutement de personnels médico-sociaux, notamment pour mettre en place des lieux d'écoute. Car actuellement, l'école manque de médecins, infirmiers et psychologues.

"Cette faiblesse de la santé scolaire rejaillit sur les autres personnels, livrés à eux-mêmes face aux violences dont ils peuvent être informés."

Violette Spillebout et Paul Vannier, corapporteurs de la commission sur les violences à l'école

dans leur rapport

Violette Spillebout et Paul Vannier proposent par ailleurs aux chefs d'établissement de prévoir un rappel annuel à tous les personnels, au moment de la rentrée scolaire, de leur obligation de signalement s'ils ont connaissance de violences commises contre un élève. Ils souhaitent que soit affichée, dans tous les établissements, la procédure permettant la protection des lanceurs d'alerte, un statut défini en 2016 par la loi Sapin II. En dehors des murs de l'école, les députés veulent conforter les moyens du 119, le service de l'enfance en danger, afin de garantir la prise en charge de tous les appels.

Mieux contrôler le privé sous contrat

Si les violences scolaires concernent aussi le public, les corapporteurs soulignent la persistance "préoccupante" de ces violences dans le privé sous contrat, comme en témoignent les nombreuses affaires révélées dans la presse, dans le sillon de l'affaire Bétharram. En conséquence, ils disent vouloir "lever le tabou" des contrôles de l'Etat sur ces établissements.

Ils proposent ainsi de confier à la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) les mêmes missions, s'agissant des établissements privés sous contrat, que celles qui lui sont confiées pour les écoles et établissements publics. Elles sont aujourd'hui assurées en grande partie par la direction des affaires financières (DAF) du ministère de l'Education nationale, déplorent les députés. "Loin de constituer un détail, cette organisation participe de l'absence d'implication du ministère dans les questions pédagogiques et relatives au climat scolaire des établissements privés".

Aussi, les corapporteurs veulent que soit prévu au moins un contrôle complet des établissements privés tous les cinq ans au plus, et de rendre publique la date du dernier contrôle effectué. Fin mai, Elisabeth Borne a elle-même promis que "1 000 contrôles [seraient] réalisés" en 2025.

"Si le constat dont il a été fait état est celui d’une extrême rareté des contrôles menés dans les établissements privés sous contrat, il ne s’applique pas aux établissements relevant du réseau musulman."

Violette Spillebout et Paul Vannier, corapporteurs de la commission sur les violences à l'école

dans leur rapport

Ils recommandent par ailleurs de transférer au recteur la compétence de signer et procéder au renouvellement annuel des contrats liant les établissements privés avec l'Etat – une mission qui revient aujourd'hui au préfet. Mais aussi d'intégrer dans les clauses de ces contrats "des mesures de prévention et de lutte contre les violences physiques et sexuelles".

Francetvinfo

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