Décryptage. Paracétamol et autisme : pourquoi le lien établi par Donald Trump est plus que douteux

Et tu enfanteras dans la douleur ? Les autorités américaines viennent d’établir un lien douteux entre l’autisme et l’utilisation de paracétamol chez les femmes enceintes, recommandant à ces dernières de s’en passer. « Ne prenez pas de Tylenol », a martelé lundi à plusieurs reprises Donald Trump, se référant à la spécialité à base de paracétamol la plus utilisée aux États-Unis. « Je recommande vivement que les femmes enceintes évitent le Tylenol pendant la grossesse sauf nécessité médicale, par exemple en cas de très forte fièvre ou si elles n’en peuvent plus », a ajouté le président américain au cours d’une conférence de presse à laquelle participait également son ministre de la Santé, Robert Kennedy Jr.
Découvert dans les années 1950, le paracétamol est un des antalgiques (antidouleur) et antipyrétiques (anti-fièvre) les plus prescrits au monde. C’est aussi un des rares médicaments de sa catégorie qu’on considère pouvoir être prescrit sans risques aux femmes enceintes. Outre-Atlantique, il est plus connu sous le nom d’acétaminophène. Selon les estimations, entre 40 % et 60 % des femmes y ont recours pendant leur grossesse en Europe et aux États-Unis.
Lien n’est pas causalitéPour justifier sa décision, l’administration Trump s’appuie sur une méta analyse publiée en août par des épidémiologistes de Harvard et de l’Hôpital du Mont Sinaï. Sa conclusion ? Qu’il semble exister un lien entre la prise de paracétamol pendant la grossesse, et un risque accru de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant - catégorie qui englobe notamment l’autisme ou les troubles du déficit de l’attention. Un lien n’est toutefois pas une causalité - et les auteurs de l’étude sont les premiers à le rappeler. « Les ventes de glaces sont plus fortes en été, et les crimes violents sont plus fréquents en été - ils sont associés, mais cela ne signifie pas que les ventes de glaces sont à l’origine des crimes violents. Les deux augmentent à cause de la chaleur », avait illustré le Dr Diddier Prada dans le New York Times, peu après la publication de son étude dans la revue JAMA.
Il est ainsi possible que l’autisme soit favorisé non par le paracétamol, mais par un facteur (fièvre ou inflammation, par exemple) qu’il est précisément censé combattre. Mais identifier ces facteurs n’est pas chose facile, ne serait-ce que parce qu’il est exclu de réaliser des études cliniques sur des femmes enceintes, pour des raisons éthiques évidentes. Le consensus médical actuel est que l’autisme résulte probablement d’une conjonction de facteurs génétiques et environnementaux.
Donald Trump a également évoqué une « rumeur » selon laquelle l’autisme n’existe quasiment pas dans la communauté Amish ou à Cuba, dont les habitants n’ont selon lui pas les moyens du paracétamol. En réalité, l’autisme (et le paracétamol) est bien présent à Cuba, qui dispose d’ailleurs de neuf écoles spécialisées.
Absence de preuve scientifiqueDepuis une quinzaine d’années, les rapports entre troubles neurodéveloppementaux et prise de paracétamol pendant la grossesse ont fait l’objet de nombreuses études. Certaines pensent avoir décelé une association, d’autres n’en ont trouvé aucune. A fortiori, rien n’a permis d’établir une relation de cause à effet. L’étude la plus complète à ce jour a été menée sur une cohorte de 2,5 millions d’enfants, nés en Suède entre 1995 et 2019. Une fois exclus les facteurs environnementaux et génétiques, ses auteurs avaient conclu à l’absence de lien entre prise de paracétamol pendant la grossesse, et risques accrus d’autisme, de trouble du déficit de l’attention (TDAH) ou de déficience intellectuelle. L’étude avait été publiée en août 2024 dans la revue JAMA.
Les nouvelles recommandations de la Maison Blanche ont suscité des réactions inquiètes de la communauté médicale internationale. « Certaines études d’observation ont suggéré une possible association entre l’exposition prénatale au paracétamol et l’autisme, mais les preuves restent incohérentes », a résumé ce mardi un porte-parole de l’OMS, soulignant par ailleurs que « les vaccins ne causent pas l’autisme ». Même son de cloche du côté de l’agence européenne du médicament (EMA) et du régulateur britannique du médicament, la MHRA, qui ont réaffirmé que le paracétamol pouvait être utilisé par les femmes enceintes. « Notre avis repose sur une évaluation rigoureuse des données scientifiques disponibles et nous n’avons trouvé aucune preuve que la prise de paracétamol pendant la grossesse puisse causer l’autisme chez l’enfant », a indiqué Steffen Thirstrup, le médecin en chef de l’agence européenne.
« De manière prévisible, les fake news sont immédiatement entrées dans une phase d’hyperventilation frénétique, avec leurs habituelles calomnies, distorsions et mensonges », a réagi la Maison Blanche, affirmant comme un « fait » que les études suggèrent que la prise de paracétamol peut entraîner des effets neurologiques chez l’enfant.

Les vaccins dans le viseur de la Maison Blanche ?
L’autisme est une des obsessions de Robert Kennedy Jr. Alors que les scientifiques les cherchent depuis plusieurs décennies, il s’était donné cinq mois pour en trouver les causes. Et les révéler : c’était l’objet de la conférence de presse de lundi. Après avoir jeté la suspicion sur le paracétamol, au grand dam de la communauté médicale, le ministre de la Santé a également annoncé le lancement de plusieurs études destinées à explorer d’autres pistes - notamment la piste vaccinale. Complotiste et antivax, Robert Kennedy Jr est persuadé depuis une vingtaine d’années que les vaccins sont à l’origine de l’autisme, malgré des dizaines d’études ayant conclu à l’absence de tout lien. Fin mars dernier, il a nommé le chercheur autoproclamé David Geier pour diriger une nouvelle étude sur la question. Avec son père Mark, un médecin interdit d’exercice en raison de ses traitements controversés de l’autisme et de la déclaration de faux diplômes, David Geier est à l’origine des théories liant vaccination et autisme.
D’ordinaire plutôt réservé sur le dossier, Donald Trump a également multiplié les critiques contre les recommandations vaccinales. « Ils injectent tellement de choses à ces beaux petits bébés, c’est une honte », a fustigé le président américain, affirmant vouloir modifier le calendrier vaccinal et interdire les sels d’aluminium utilisés comme adjuvants. « L’hépatite B se transmet par voie sexuelle. Il n’y a aucune raison de vacciner contre l’hépatite B un bébé qui vient à peine de naître. Je dirais donc d’attendre que le bébé ait douze ans et soit bien développé », a-t-il déclaré. La vaccination des nouveau-nés contre l’hépatite B est recommandée aux États-Unis en raison notamment de la possibilité d’une contamination par la mère.
Le Bien Public