En Afrique de l’Ouest, un projet de reforestation massive “consumé par la terreur”

Initié en 2007, le projet de la Grande Muraille verte dans la bande sahélienne était censé créer un immense mur de végétation dans le désert, en mobilisant des planteurs d’arbres et des agriculteurs. Mais le projet a été miné par l’expansion de l’extrémisme violent au Burkina Faso, au Niger et au Nigeria, révèle l’enquête d’une cellule d’investigation d’Afrique de l’Ouest.
L’idée d’un “mur de végétation” d’environ 8 000 kilomètres, du Sénégal à Djibouti, pour empêcher l’avancée du désert, a été approuvée par l’Union Africaine en 2007, rappelle la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo), qui a mené l’enquête avec l’appui du centre Pulitzer.
Cette “Grande Muraille verte” devait être achevée en 2030 et devenir à terme “trois fois plus grand que la Grande Barrière de corail en Australie”, et même “la plus grande structure vivante de la planète”, assure le site. Pensée pour pallier “les effets dévastateurs” du réchauffement climatique via un reboisement massif dans la vaste bande sahélienne, elle n’a finalement jamais vu le jour.
L’enquête de la Cenozo narre “l’ascension et la chute” de la Grande Muraille verte à travers les coups portés à ce projet ambitieux “consumé par la terreur”. Outre la pression de l’homme et de la démographie, la mauvaise gestion et les financements insuffisants, c’est avant tout l’expansion de l’extrémisme violent qui a anéanti les avancées de ce mur végétal dans certaines zones du Nigeria, du Burkina Faso et du Niger.
La Cenozo fait la part belle aux trajectoires de ceux qui y ont cru, et qui se sont investis dans le projet à échelle locale. À l’image du Nigérian Aliyu Garba. Quand on le sollicite en 2020 pour “participer à [la] plantation d’arbres” à Rumfar Akke, un village du nord-ouest du Nigeria, l’homme y voit “une reconnaissance de ses nombreux efforts dans l’agriculture”. Mais il “a failli mourir pendant qu’il arrosait [les plants] deux ans plus tard”. Une incursion d’hommes armés se solde par le pillage du village et son enlèvement, dans la logique “otages contre rançon”. Des faits imputés au “banditisme rural qui dure depuis dix ans”.
Le projet est aussi contrarié dans de nombreux autres États du nord du Nigeria par les violences des insurgés islamistes de Boko Haram ou du groupe armé État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap).
Dans le nord du Burkina Faso, où “les arbustes épineux se courbent sous un vent sahélien incessant”, cinq régions étaient concernées par la reforestation massive.
Là, ce sont les groupes extrémistes affiliés à Al-Qaida au Maghreb islamique qui l’ont sapée. Des communes burkinabè “autrefois dynamiques” dans le cadre de ce projet “sont devenues des fronts de guerre […]. Dans la plupart des endroits, les villageois ont été contraints d’abandonner tout derrière eux […] et les travailleurs de la restauration du couvert végétal contraints de se cacher. […] À Dori et Aribinda, où près de 600 000 jeunes plants ont été plantés entre 2013 et 2015, la plantation a ralenti à un filet”.
Cinq ans avant la fin prévisionnelle du projet, “moins de la moitié de l’objectif a été atteinte”, et les espoirs de le voir aboutir sont maigres, assure la Cenozo.
Courrier International