Villes, où va l’eau ?

Chaque semaine, “Courrier international” explique ses choix éditoriaux. Dans ce numéro, nous revenons sur les pénuries d’eau qui menacent de plus en plus les grands centres urbains. Réseaux vétustes, manque d’investissements dans les infrastructures, mauvaise gestion, corruption voire détournements mafieux… De Mexico à Pékin, en passant par Johannesburg ou Athènes, un tour du monde des menaces qui planent sur l’eau potable.
C’est une information passée relativement inaperçue il y a quelques semaines, mais que nous avions relayée mi-juin sur notre site : “Kaboul pourrait devenir la première ville moderne à ne plus avoir d’eau”, avertissait The Guardian citant un rapport de Mercy Corps. Selon l’ONG, le niveau des nappes aquifères de la capitale afghane a baissé de 30 mètres en dix ans, en raison de l’urbanisation rapide et du dérèglement climatique. Si la tendance se poursuit, “tous les aquifères de Kaboul seront à sec dès 2030”, expliquait le quotidien britannique.
Kaboul n’est pas la seule ville menacée par cette pénurie. Partout dans le monde, les grandes métropoles sont confrontées à la raréfaction de l’eau potable. Cela peut paraître contre-intuitif alors que l’actualité ces dernières semaines est marquée par une série d’inondations catastrophiques. C’est pourtant la réalité à laquelle vont être confrontées des centaines de millions de personnes dans les prochaines années. Et c’est pour cela que nous avons choisi d’y consacrer notre dossier cette semaine.
Ce n’est pas la première fois (ni la dernière) que nous revenons sur le sujet. En 2020, déjà, nous publiions l’Atlas de l’eau, un hors-série consacré aux graves menaces qui pèsent sur cette ressource, avant une nouvelle une en 2022 sur les pénuries mondiales (“L’eau qui nous manque”, CI n°1660 du 25 août 2022) et, l’année suivante, un dossier en forme de plaidoyer pour que l’accès à l’eau potable échappe aux lois du marché (“L’eau, notre bien commun”, CI n°1710 du 10 août 2023). Cette fois, c’est sur les villes que nous nous concentrons. De Mexico à Delhi, Karachi, ou Pékin, en passant par la Californie, Athènes, Dublin, Sofia, Djakarta ou Johannesburg, partout, le quotidien des citadins risque de se retrouver bouleversé quand il ne l’est pas déjà.
C’est le cas à Johannesburg, où les coupures d’eau sont monnaie courante depuis des années, et cela non pas à cause de la sécheresse, mais en raison d’une mauvaise gestion de la ville. Dans toute l’Afrique du Sud, la crise de l’eau a les mêmes causes : “Selon les estimations, 40 à 50 % (voire plus) de la ressource est perdue avant d’atteindre les consommateurs”, signale la chercheuse Anja du Plessis dans le Sunday Times. En cause : un nombre considérable de fuites, dues à des infrastructures vétustes et délabrées, alors que la pression démographique s’accroît dans la plupart des villes sud-africaines.
Dans le Mail & Guardian, un chroniqueur du journal tente malgré tout de décrire avec humour son quotidien dans une banlieue de Johannesburg, où l’eau n’a pas coulé depuis huit jours. Extraits : “Faire la vaisselle, c’est toute une aventure. Il faut d’abord aller chez un ami pour emprunter plusieurs bouteilles d’eau. Ensuite, de retour à la maison, il faut faire chauffer l’eau dans la bouilloire et plusieurs casseroles sur le feu.”
“La douche quotidienne n’est plus qu’un lointain souvenir et mon hygiène laisse sérieusement à désirer.”
On pourrait en sourire. Mais ce genre de scènes risque de se reproduire un peu partout dans le monde. En Europe, plus de 50 % de la ressource se perd à cause des fuites sur les infrastructures vétustes, explique Politico, qui cite l’exemple de l’Italie : “Dans certains endroits de la Basilicate, jusqu’à 70 % de l’eau potable n’arrive jamais au robinet.” La raison ? “Des décennies de sous-investissements dans les infrastructures d’adduction et une gestion défaillante des aquifères et des cours d’eau aggravent le stress hydrique déjà grandissant dans de nombreuses régions.” Parmi les pays les plus touchés sur le Vieux Continent ? La Bulgarie, l’Irlande (pourtant pluvieuse), la Roumanie, mais aussi désormais la Belgique.
À Mexico, où la gestion du réseau est aussi en cause, l’accès à l’eau potable est un enjeu majeur pour les habitants. À New Delhi, en Inde, la mafia des camions-citernes ajoute aux pénuries en aspirant l’eau des canalisations pour la revendre.
On pourrait égrener ainsi les exemples à l’infini. Parler aussi de la pollution aux PFAS, acronyme anglais pour “substances per- et polyfluoroalkylées”, ces polluants éternels qui risquent de coûter très cher à la France et à l’Europe. À Saint-Louis, en Alsace, comme dans d’autres communes, il est désormais interdit de boire l’eau du robinet, explique The Guardian dans un reportage traduit sur notre site. Nous y reviendrons dans l’hebdomadaire à la rentrée.
Courrier International