Compromis constitutionnels

Le récent article du coblogueur Pierre Lemieux, « Une Constitution peut-elle limiter l'État ? » (21 juillet 2025), pose une question importante, que les théoriciens politiques se posent depuis des millénaires. Dans les commentaires de cet article, j'ai mis un lien vers un article récent du Journal of Institutional Economics de Jacek Lewkowicz, Jan Falkowski, Zimin Lou et Olga Marut (désormais LFLM) qui démontre que la formulation d'une constitution influence la manière dont les gouvernements se conforment à leurs restrictions (« Attention aux mots : formulation de la Constitution et conformité constitutionnelle », Journal of Institutional Economics , 20, p. 35). La lisibilité (c'est-à-dire l'évitement d'un jargon trop complexe et technique) permet de savoir plus facilement si un fonctionnaire viole la constitution, ce qui peut accroître la pression de l'électorat sur lui. À l'inverse, si une constitution est très technique et difficile à lire, son application incombe à des personnes spécialement formées à son interprétation, ce qui la rend plus difficile. Ainsi, rendre la constitution (et par la suite les lois) compréhensibles pour la grande majorité des gens présente des avantages.
Certains lecteurs se souviendront peut-être de mon article d'avril, « Le droit familier ». J'y citais Lon Fuller à propos de l'expérience juridique soviétique visant à rendre les lois si faciles à comprendre que chaque travailleur pouvait les comprendre. Ce faisant, le droit a perdu toute cohérence et son application par les juges est devenue « capricieuse et moins prévisible ». Il convient de noter que c'est le même effet que prédisent les constitutions trop techniques.
Comment expliquer cette apparente contradiction ? Il se pourrait que la relation entre lisibilité et conformité ne soit pas monotone. La lisibilité d'une constitution présente des avantages marginaux, mais ces avantages marginaux sont sujets à des rendements décroissants. À un certain point, les avantages nets deviennent négatifs. En effet, cela pourrait également expliquer les résultats mitigés obtenus dans le cadre du LFLM concernant la précision du langage.
Il se pourrait également que d'autres facteurs nuisent à la lisibilité. Dans une grande démocratie comme les États-Unis, la capacité d'un électeur (ou, d'ailleurs, d'un représentant ou d'un sénateur) à sanctionner ceux qui violent la Constitution est assez limitée. Les problèmes classiques d'action collective entrent alors en jeu. Les démocraties plus petites peuvent avoir plus de chance de faire respecter la Constitution.
Il existe de nombreuses pistes intéressantes pour répondre à cette question. Je suis certain que les constitutionnalistes les ont déjà envisagées. Quoi qu'il en soit, l'efficacité des constitutions demeure une question importante.
econlib