Défier les données : Édition sur le niveau de vie

En 2007, Eliezer Yudkowsky a écrit un article intéressant prônant ce qu'il appelait «  défier les données ». L'idée était simple : imaginez que vous ayez une théorie expliquant le fonctionnement du monde. Une nouvelle étude est publiée avec des données qui ne peuvent être prises en compte dans votre cadre théorique. Comment réagir ?

Une réponse consiste à abandonner sa théorie au profit des nouvelles données. Une autre solution consiste à la conserver intacte et, comme le dit Yudkowsky, à « attaquer l'expérience – accuser les chercheurs de malhonnêteté, de conception défectueuse ou de conflit d'intérêts ». Mais il existe une troisième possibilité : défier purement et simplement les données. Comme le dit Yudkowsky :

Néanmoins, je l'ai dit sans détour, sans excuse et avec une insolence délibérée. Je maintiens ma théorie ; votre expérience est erronée.

Si un résultat expérimental contredit le Modèle Standard, c'est un fait important . Il doit être ouvertement reconnu. Une expérience qui incite les traditionalistes à rejeter les données – ou même qui les rend très sceptiques à leur égard – devrait être répliquée en priorité. Une expérience qui mérite d'être défiée devrait retenir l'attention !

Mais il n'est pas socialement acceptable de dire : « Au diable votre falsification expérimentale, je garde ma théorie. » Il faut donc défier les données en catimini – en diffamant les chercheurs, par des insinuations sournoises, par de sinistres allusions à la controverse. Les données doivent être écartées, écartées, balayées sous le tapis, silencieusement dans l'ombre, parce qu'on ne peut admettre qu'on les défie. Ce n'est pas une bonne façon d'attirer l'attention sur un résultat anormal. Ce n'est pas non plus une bonne façon d'assurer le financement des tentatives de réplication.

Cela paraît parfaitement logique. Si une théorie est solidement établie et confirmée par de multiples études et expériences, une seule apparition flagrante de données contraires ne devrait pas avoir d'impact majeur. Les expériences et les études, même méticuleusement conçues, peuvent échouer pour toutes sortes de raisons. En 2011, des scientifiques ont apparemment découvert des données montrant des neutrinos se déplaçant plus vite que la lumière – une découverte qui contredit des théories physiques bien établies. Dans ce cas, la réponse parfaitement raisonnable est de défier les données. Après tout, qu'est-ce qui est le plus probable ? Que toute la physique établie ait été complètement bouleversée – ou que les chercheurs du CERN aient commis une légère erreur de mesure ? (Attention, spoiler : il s'est avéré que c'était la deuxième hypothèse.)

Certes, mon propre défi aux données dans cet article n'atteindra pas la précision des expériences de physique, ni dans les mesures utilisées, ni même dans la définition du phénomène sous-jacent. Pourtant, il y a quelques années, un moment précis a immédiatement provoqué en moi la réaction suivante : « Je défie les données » – et il est lié à ce que les données sur le niveau de vie sont censées révéler.

À l'époque, j'étais à l'université et traversais une période financièrement difficile. Je partageais un petit appartement avec deux autres personnes, préparant mon diplôme d'économie tout en travaillant à temps plein chez Barnes and Noble pour joindre les deux bouts. À cette époque, j'avais entendu une affirmation, souvent répétée sous diverses formes, du genre : « Les jeunes de cette génération ont en réalité un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents au même âge ! » Et j'ai immédiatement, sans hésiter, décidé de défier ces données.

Par une heureuse coïncidence, peu de temps auparavant, mes parents m'avaient envoyé divers souvenirs de jeunesse. L'un d'eux était un DVD sur lequel ils avaient transféré le contenu d'une cassette VHS enregistrée des années plus tôt, quand j'avais trois ans et demi. Cela aurait permis de situer les images vers 1987. Mon père avait enregistré cette vidéo pour l'envoyer à sa propre mère, afin qu'elle puisse voir des films de famille montrant comment nous allions ensemble. L'une des choses qui m'a le plus frappé en regardant cette vidéo, c'est que j'avais presque le même âge que ma mère au moment de l'enregistrement. Cette vidéo m'a donné un aperçu de la vie de mes parents lorsqu'ils avaient mon âge à l'époque.

Comment nos vies se comparaient-elles ? Mon niveau de vie était-il inférieur au leur à l'époque ? Absolument pas ! Je suis sûr que si vous aviez comparé nos tranches de revenus, j'aurais eu l'air d'être bien en dessous d'eux. Même si cette vidéo a été enregistrée vers 1987 et que je la regardais en 2011, mon revenu nominal était inférieur au leur – et après ajustement pour l'inflation , la situation n'aurait pas été aussi préoccupante. Mais non seulement mon niveau de vie n'était pas inférieur au leur, mais il aurait fallu me payer une somme considérable pour que je puisse envisager de vivre au même niveau que le leur, avec les biens et services dont ils disposaient dans l'Oregon rural en 1987 ! (En fait, je ne suis pas sûr qu'il existe une somme d'argent que vous pourriez me donner pour me donner envie de le faire, car une grande partie de ce que j'apprécie dans mon niveau de vie, en 2011 comme aujourd'hui, n'aurait pas pu m'être accessible, quel qu'en soit le prix, en 1987.)

Je pourrais passer des jours et des nuits à énumérer tout ce que j'avais en 2011 et que mes parents en 1987 n'auraient même pas pu avoir, même dans leurs rêves les plus fous, mais je vais me contenter d'une comparaison pour l'instant. Mon père était derrière la caméra pendant presque toute la vidéo, mais on pouvait parfois le voir se refléter dans un miroir. Ce film amateur a été enregistré avec une caméra lourde et encombrante, qu'il fallait porter en bandoulière et qui produisait des images de faible résolution et de mauvaise qualité. Ils ne possédaient même pas la caméra ; ils l'avaient juste louée quelques jours pour réaliser cette vidéo, car une telle caméra était bien trop chère pour eux. Et pendant que je regardais cette vidéo, j'avais dans ma poche un smartphone qui ne pesait que quelques grammes et qui pouvait enregistrer des vidéos de bien meilleure qualité, instantanément transmises partout dans le monde. Bien que ce téléphone soit considéré comme obsolète aujourd'hui, sa simple vue en 1987 aurait fait débattre la nécessité de réintroduire les lois sur les bûchers de sorcières !

On peut débattre jusqu'à en perdre la raison sur la meilleure façon de mesurer le niveau de vie. Je n'ai pas de nouvelle mesure géniale à proposer. Mais je dirai que si votre mesure du niveau de vie conclut que j'avais un niveau de vie inférieur en 2011 à celui de mes parents en 1987, elle est déplorable et devrait être abandonnée . Si c'est ce que disent vos données, alors je les défie.