Après cinq livres ancrés dans les Alpes-Maritimes, l’auteure Marie-Christine Stigset publie deux romans sur l'esclavage à Haïti

À première vue, le lien entre Menton et Haïti ne relève pas franchement de l’évidence. Il fallait l’œil d’une passionnée d’histoire, chercheuse minutieuse, pour tisser les connexions. Et une particularité: celle d’écrire des romans qui se suivent même quand le décor change.
Après cinq livres ancrés dans les Alpes-Maritimes, l’auteure Marie-Christine Stigset - qui vit entre Oslo et la cité du citron - a ainsi pris le parti de déplacer l’un de ses personnages de la Côte d’Azur aux Antilles.
Après avoir décelé que les deux territoires avaient pour point commun la résistance de leur population face à l’oppression française dans l’immédiat après-Révolution.
Astuce littéraireDans ses précédents ouvrages, la franco-norvégienne tombée sous le charme du vieux Menton - au point de se plonger dans son passé - s’était attachée à revenir sur la révolte des barbets.
"Ici, il n’était pas question de colonisation, mais bien d’une invasion. En septembre 1792 à Nice, puis en 1793 à Menton. La Révolution est alors assaillie de toutes parts en Europe. Par peur d’une invasion des Autrichiens, elle crée une zone tampon allant du Var jusqu’aux Alpes. Mais les choses se passent très mal. Les hommes viennent avec de beaux discours: on vous délivre des tyrans, on ne vous prendra rien… Sauf qu’une armée, il faut l’entretenir", retrace Marie-Christine Stigset. Pointant la nécessité de tout importer aux frais des habitants, quand on n’opte pas pour des confiscations sans ménagement.
Pillages, massacres, vols, tortures jalonnent le passage de l’armée révolutionnaire. La révolte enfle. Face à l’envahisseur, les barbets appliquent la méthode de la guérilla - grâce à une connaissance parfaite de leur pays, de leurs montagnes. "Le point commun entre cette histoire et celle d’Haïti, c’est qu’elles ont toutes deux été occultées. J’ai demandé à une amie professeure d’Histoire quelle était la part que l’esclavage occupait dans le programme scolaire. Réponse: une heure en 1re, une heure en terminale…" Dont acte.
Avec ses astuces littéraires dans la besace, Marie-Christine Stigset se décide à réhabiliter ces hommes et femmes victimes de la servitude. Via deux romans fictifs reposant sur des faits historiques vérifiés, sortis en mai aux éditions du Bord du Lot.
Grosse documentation"Mon héros, Bertrand de Roquefeuille, est un aristocrate provençal qui apparaît dans mon livre Le Barbet du Plan du lion, dans une scène de procès. Accusé d’émigrer après la Révolution française, il est condamné à la guillotine" Mais une alternative (réelle sur le plan historique) existe: partir aux Antilles.
Afin de remplacer les planteurs qui se sont sauvés des exploitations après la révolution des esclaves en août 1791. Car Saint-Domingue, à l’époque, est le premier producteur de sucre et de café. Pas question, pour la France, de perdre une telle ressource.
"Et voilà comment mon personnage débarque aux Antilles en 1793. J’applique ma technique habituelle: introduire un personnage fictif chargé de mettre en scène l’Histoire. Je lui prête beaucoup de caractéristiques des officiers de Toussaint Louverture. Dans le livre, il se lie d’ailleurs d’amitié avec lui."
Pour documenter l’histoire des barbets mentonnais, Marie-Christine Stigset avait pu bénéficier des archives municipales. Pour Haïti, c’est sur un adjuvant de choix qu’elle s’est appuyée. Sudhir Hazareesingh, spécialiste de l’Histoire de France à Oxford. "Je vais d’ailleurs lui envoyer le premier tome en lui expliquant que j’ai recyclé ses informations sous forme de roman", sourit-elle.
Le génie Toussaint LouvertureDans le tome I des Guerriers d’Ayiti, on découvrira ainsi la vie dans les plantations, l’enfer de l’esclavage, une introduction à la culture indienne… Et la figure de Toussaint Louverture, bien sûr.
"Il est né esclave sur la plantation de Bréda mais son père était un prince, originaire de l’actuel Bénin. Toussaint excelle en équitation ; un missionnaire lui a appris à lire et à écrire. Il a une connaissance approfondie de la nature. Pour toutes ces raisons, il attire l’attention du gérant de la plantation qui en fait son cocher, puis son bras droit. Avant de l’émanciper en 1776", résume Marie-Christine Stigset.
Indiquant qu’il fera preuve d’un génie militaire inné lors de la révolution de 1791. Au point d’être surnommé le "Napoléon noir". Lui aussi ayant cette capacité à faire brèche pour isoler les deux parties d’une armée. La fameuse ouverture…
Allié du général Laveaux, c’est un Républicain dans l’âme. Il veut d’une société multiraciale. Sa principale revendication? L’abolition de l’esclavage. Par crainte de perdre le territoire, et surtout ses richesses, la France finit par l’accorder aux en 1794. Bien que de manière provisoire…
Le tome II évoque la constitution d’Haïti qu’il proclame en 1801. Suivie du rétablissement de l’esclavage - l’année suivante. Napoléon envoyant un corps expéditionnaire pour mettre un terme à l’émancipation. "Toussaint Louverture est capturé en 1802, en échange d’une amnistie générale et d’une nouvelle abolition de l’esclavage. Mais c’est un leurre. Quand il meurt, la lutte reprend."
Comme pour les barbets à l’autre bout du monde, le rapport de force est disproportionné. Mais les esclaves ne lâchent rien, et la nature (synonyme: fièvre jaune) achève le travail.
"C’est l’une des plus grandes défaites de l’armée napoléonienne. Sur les 40.000 hommes au départ, auxquels s’ajoutent des renforts, ils ne sont que 10.000 à rentrer en France", glisse Marie-Christine Stigset. Rappelant qu’il s’agit de la seule colonie d’esclaves où la révolte a abouti.
L’indépendance est proclamée en 1804. Saint-Domingue devient Haïti, première république noire au monde. De courte durée, encore. Quelques mois plus tard, le n°2 de Toussaint Louverture se proclame empereur… En dépit des difficultés, le pays se reconstruit malgré tout.
Triste anniversaireEn 1825, Haïti demande que l’indépendance soit reconnue. La France accepte en échange d’une "rançon astronomique". Charles X impose en effet qu’elle lui verse 150 millions de francs or (environ 700 millions d’euros) pour dédommager les anciens colons. "Tout l’argent qui aurait dû passer dans les infrastructures, le commerce, l’éducation, la santé s’envole." Avec pour conséquence une destruction économique, politique et écologique.
Un rapide calcul permettra de saisir que le thème est résolument d’actualité. 2025 marque le bicentenaire de la "double dette" - inédite - imposée par la France à son ancienne colonie. Dans le cadre de cet anniversaire, le Président Macron a annoncé la création d’une commission franco-haïtienne d’historiens chargée d’étudier l’impact de ce lourd tribut sur l’île.
Mission accomplie pour Marie-Christine Stigset: son histoire flirte toujours avec l’Histoire.
Nice Matin