« On a des lois, pas des règles » : Scott Robertson défend l'Afrique du Sud et ses options stratégiques déroutantes contre l'Italie

Un coach All Blacks qui se mue en défenseur d'un coach Springboks, il fallait l'entendre pour le croire. C'est pourtant ce qui s'est passé lundi matin quand a été évoqué avec Scott Robertson (50 ans) le match que les doubles champions du monde sud-africains ont livré face à l'Italie samedi. Notamment, au-delà de la victoire fleuve (45-0), sur l'utilisation de combinaisons tactiques inédites par son homologue Rassie Erasmus (52 ans).
La plus spectaculaire consistait à lifter un joueur comme en touche mais au coeur du terrain, en pleine phase de jeu. La confusion provoquée chez les joueurs italiens a abouti à un essai. Dès le coup d'envoi, les Sud-Africains les avaient surpris avec coup de pied volontairement trop court de Manie Libbok réceptionné par André Esterhuizen en position de hors-jeu. Une action préméditée pour contourner la règle des dix mètres, dans l'espoir de déclencher une mêlée au centre du terrain, un secteur de jeu dans lequel les Boks sont sûrs de leur force et par lequel ils voulaient marquer leur domination d'entrée. Cette tactique a échoué et conduit à une pénalité contre eux.
À l'issue du match, le sélectionneur italien Gonzalo Quesada s'est montré agacé et surpris par cette approche, la jugeant inutile et peu respectueuse : « Je ne l'ai pas bien pris. Je pense qu'ils peuvent nous battre sans avoir besoin de recourir à ce genre de tactique. » Interrogé sur le stratagème, Scott Robertson lui a étonnement apporté son soutien. « J'ai vu ce qu'ils ont fait, ça ne me surprend pas. On faisait parfois un truc dans cet esprit quand je jouais à Perpignan (il a été 3e ligne de l'USAP entre 2003 et 2006 et y a disputé 54 matches). Vu qu'on avait une grosse mêlée, il nous arrivait de dégager volontairement en touche. Ce n'est pas nouveau et ça révèle tes intentions. En rugby, on a le droit d'utiliser ses forces pour surprendre, c'est quelque part une forme d'innovation. » Et le coach All Black est resté sur la même ligne au sujet des touches au centre du jeu. « C'est unique et innovant, et c'est ce qui fait le sel de notre sport. En plus ça fait causer, c'est bien. »
« On passe beaucoup de temps à chercher dans le but d'innover »
Scott Robertson, sélectionneur de la Nouvelle-Zélande
Alors qu'un reporter kiwi le pressait de condamner l'action des Sud-Africains qui ont enfreint la loi en se plaçant délibérément hors-jeu, Razor a fait preuve d'un soutien indéfectible : « L'esprit, c'est d'apporter plus de variété au rugby. On a des lois, pas des règles, et elles sont sujettes à interprétation. On verra comment tout ça est interprété. Ce n'est pas à moi de statuer. » L'histoire dira aussi si Scott Robertson aura le même esprit d'ouverture si Rassie Erasmus ose d'autres coups à l'Eden Park lors du choc très attendu face aux Springboks le 6 septembre, dans le cadre du Rugby Championship.
Stratège du jeu labellisé « créatif », Scott Robertson ne pouvait pas avoir une posture conservatrice face à l'audace tactique de Rassie Erasmus. Malgré des clichés qui ont le cuir bien tanné, le rugby sud-africain est aujourd'hui un laboratoire stratégique du rugby moderne. « On passe beaucoup de temps à chercher dans le but d'innover, a confié « Razor ». Parfois ça marche, d'autres non. Il faut que les planètes s'alignent. Le truc positif, c'est qu'on dispose au sein de notre groupe des gars créatifs qui proposent des idées (le week-end dernier, le premier essai face aux Bleus inscrit par Cam Roigard - 14e - venait d'une feinte élaborée par Bryn Evans, le tout nouvel entraîneur de la touche recruté par les All Blacks). À chaque réunion ensemble, on a à coeur que l'ensemble des options stratégiques soient mises sur la table. »
Pour continuer à séduire le public et ne pas sombrer dans la routine, Robertson estime que son sport se doit de garder un esprit en mouvement. Samedi soir, à l'issue de la victoire contre le quinze de France (43-17), le meneur de jeu néo-zélandais Beauden Barrett nous confiait que les All Blacks lorgnent pas mal sur le rugby à XIII ces temps-ci. « Le XIII influence les systèmes défensifs, donc forcément les options d'attaque, appuie Robertson. On s'adapte vite, on veut avoir plusieurs options. La profondeur permet de contourner les défenses rapides. Il faut aussi jouer à plat. On travaille sur les deux. »

Beauden Barrett, balle en mains samedi lors de Nouvelle-Zélande - France à Wellington (43-17). (A. Mounic/L'Équipe)
C'est dans cet état d'esprit que le coach affûte ses joueurs pour l'ultime rencontre face aux Bleus samedi à Hamilton. Après leur en avoir fait baver lors du premier test à Dunedin (31-27), les hommes de Fabien Galthié se sont mués en sparring-partners de luxe samedi dernier à Wellington. Le narratif de Scott Robertson envers ses joueurs semblait tout trouvé : reprendre aux Français le Dave Gallaher Trophy, que les All Blacks n'avaient plus soulevé depuis 2018. Quel sera son story-telling pour le dernier match ? « Continuer à performer au plus haut niveau, montrer combien nous tenons à notre maillot. Il va falloir remettre ça, finir cette série en beauté. »
Les deux équipes s'affronteront au FMG Stadium, enceinte qui sera à guichets fermés, ce qui constitue une bénédiction pour le rugby néo-zélandais, qui a bien besoin de ces recettes aux guichets et qui redoutait fort que le label d'équipe de France bis ne nuise à l'affluence. Les trois stades ont fait le plein, tout comme les audiences de Sky, la chaîne détentrice des droits. « Je ne peux pas vous révéler nos audiences, nous a assuré un producteur de la chaîne, mais je peux vous dire qu'elles sont très bonnes. Les Bleus ont attiré du monde sur notre antenne et nous en sommes très satisfaits. »
L'Équipe