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Silverstone, la Silicon Valley de la F1

Silverstone, la Silicon Valley de la F1

À l'époque, le circuit de Silverstone ne comptait que huit virages (contre dix-huit aujourd'hui), héritage de ces sentiers sablonneux et poussiéreux qui servaient aux soldats de la RAF pour surveiller l'aérodrome attenant et, accessoirement, s'offrir quelques courses en jeep. Eh oui, cette piste mythique, où s'est déroulée la première course du Championnat du monde il y a 75 ans (en 1950), est née d'un jeu entre soldats.

Aujourd'hui, Silverstone est le centre névralgique d'une immense industrie qui rayonne autour du monde. Ce petit sport inventé par des passionnés de mécanique est devenu une entreprise qui fait vivre des milliers de gens, particulièrement ici dans le Buckinghamshire, cette région coincée entre Oxford et Birmingham, où presque toutes les écuries y ont des installations.

L'enjeu économique de la F1 est énorme pour le pays, et ce n'est pas un hasard si le Premier ministre britannique Keir Starmer a reçu, mercredi, les patrons d'équipes, les pilotes et plusieurs membres des écuries au 10 Downing Street. Et l'on ne parle pas des à-côtés générés par le Grand Prix, où des marchands du temple vont, ce week-end, squatter toutes les places disponibles pour vendre oignons grillés, bière et fish and chips pour le demi-million de spectateurs attendus.

Silverstone est aussi un emplacement stratégique pour les nouveaux entrants américains : Ford va profiter de l'usine moteurs de Red Bull à Milton Keynes, et Cadillac va installer sa base européenne à deux pas du tracé mythique. Visite de ces deux nouvelles usines qui viennent grandir un peu plus la « motorsport valley ».

Cadillac, label américain

En venant à Silverstone, il n'est pas facile de trouver les locaux de la future onzième écurie du plateau, qui débutera en 2026. Cadillac se fait pour le moment discrète. Pourtant, ce ne sont pas moins de quatre bâtiments qu'elle occupe déjà la sortie du circuit.

Bien loin de la nouvelle magnificence d'Aston Martin que l'on aperçoit de loin lorsqu'on quitte la piste pour rejoindre l'autoroute A43 qui vous emmène à... Brackley (siège de Mercedes), l'histoire retiendra que Cadillac a débuté au premier étage d'un bâtiment anonyme (1129) au-dessus d'une soufflerie destinée aux cyclistes. Depuis, General Motors a grandement investi pour racheter d'autres bâtiments que Graeme Lowdon, le boss de l'équipe américaine, a fait visiter à « L'Équipe » jeudi dernier.

En sortant de son bureau, où trône une photo de Mario Andretti en compagnie d'Enzo Ferrari et Carlos Reuteman, on traverse un premier open space où peu de gens travaillent. « Ne vous inquiétez pas, rassure l'ancien patron de Jules Bianchi du temps de Marussia, nous avons déjà bougé 'chez nous'' et cet endroit nous sert de soupape lorsqu'il faut déménager les gens. »

Graeme Lowdon, le patron de Cadillac dans son bureau à l'usine de Silverstone, où trône une photo de Mario Andretti en compagnie d'Enzo Ferrari et Carlos Reuteman. (DR)
Graeme Lowdon, le patron de Cadillac dans son bureau à l'usine de Silverstone, où trône une photo de Mario Andretti en compagnie d'Enzo Ferrari et Carlos Reuteman. (DR)

Contrairement à Haas, l'autre équipe américaine qui a choisi de s'appuyer sur Ferrari pour le moteur et Dallara pour son châssis, Cadillac part de zéro pour concevoir entièrement sa propre monoplace. De plus, Lowdon doit gérer la construction de cette antenne européenne de Cadillac qui permettra d'être dans les temps pour les premiers essais programmés fin janvier à Barcelone.

En marchant une grosse centaine de mètres pour rejoindre le bâtiment de l'ingénierie, l'Anglais nous montre son nouveau territoire. L'entrepôt des machines outils sera derrière celui qui accueille Lotus, celui qui gère le fret et la logistique à côté du siège de Hitech (l'écurie de F2 d'Ollie Oakes, l'ancien boss d'Alpine). Au premier étage, l'open space, cette fois, est plein. De jeunes mais aussi d'anciens. Dans un coin de la salle des aérodynamiciens, une tête connue se lève et vient nous saluer. C'est Pat Symonds (72 ans), l'ancien directeur de l'ingénierie de Renault, Williams et même de la F1 avant d'avoir ce rôle chez Cadillac.

« Je voulais qu'on s'appuie sur des gars qui connaissent la F1. Pour eux, rien ne change dans leur vie de famille. Seule la place de parking change »

Graeme Lowdon, le boss de l'écurie Cadillac

« Nous avons voulu recruter des gens expérimentés, confirme Lowdon. Bien sûr, nous avons des débutants et des étudiants mais je voulais qu'on s'appuie sur des gars qui connaissent la F1. En les prenant chez nos concurrents, nous bénéficions du savoir-faire de l'endroit. Pour eux, rien ne change dans leur vie de famille. Seule la place de parking change. C'est ça la force de Silverstone. »

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Sauber, l'écurie suisse qui passera l'an prochain sous bannière allemande (devenant Audi) installe une antenne à Bicester, à l'image de Racing Bulls qui aura bientôt son propre bâtiment dans le site Red Bull de Milton Keynes. En marchant vers le bâtiment de la logistique de Cadillac, une autre figure souvent croisée dans le paddock nous interpelle, son cahier en main. Rob White, ancien boss de l'usine moteurs de Viry puis d'Enstone pour Renault pendant des années, est devenu directeur des opérations. Il raconte à son patron les difficultés de changer les ingénieurs de bureau tous les quinze jours afin de poursuivre le travail.

En débarquant dans le dernier bâtiment, on comprend mieux ce que vivent les employés de Cadillac (ils sont déjà plus de 300 ici sans compter la centaine au siège de Cadillac qui attendent que le QG de Fishers, près d'Indianapolis soit terminé). Là, des hommes sont en train de tester la résistance d'une demi-coque, juste à côté de la première cellule de survie de l'écurie. « Nous avons déjà passé le crash-test de la FIA », raconte fièrement le boss devant deux camions frigorifiques et une équipe de cinéma venu débuter le tournage du documentaire de Keanu Reeves sur l'équipe. Derrière au fond de l'entrepôt, pas loin de toilettes Algeco, des containers presque prêts à partir... pour Melbourne. Ne reste plus qu'à installer les fours. Et finir les bâtiments. Dans l'open space des ingénieurs mécanique, un immense écran égrène le temps qu'il reste avant le premier démarrage moteur, pour l'instant fourni par Ferrari (160 jours et 23 heures) et le feu vert des premiers essais de l'année en Australie (254 jours et 17 heures).

Si vous n'êtes pas revenu depuis une dizaine d'années du côté de Milton Keynes, cette ville nouvelle sans charme qui doit compter plus de ronds-points que d'habitants, vous ne serez pas dépaysé, rien n'y change. Mais si, en la quittant par le sud, et que vous repassez par ce qui fut l'usine de Jaguar Racing avant que Red Bull ne la rachète, là vous serez surpris.

Le petit entrepôt familial, perdu au milieu d'autres petites entreprises locales, est devenu le coeur d'une petite ville que Red Bull a patiemment créé depuis vingt ans. Il faut désormais montrer patte blanche, comme dans n'importe quelle écurie de Formule 1, et la petite rue qui desservait cette banlieue est devenue l'artère centrale de la galaxie Red Bull F1.

Parmi tous ces bâtiments, entre le principal de la F1 et le hangar qui stocke les vieilles monoplaces, celui qui porte le nom de Jochen Rindt (premier champion du monde autrichien en 1970), est destiné à une nouvelle activité de l'écurie : construire des moteurs. Lorsque, fatigué de la collaboration avec Renault, Christian Horner a cherché d'autres motoristes, le patron de l'écurie s'est rendu compte que ses adversaires n'étaient guère partants pour propulser ses F1. Alors, avec Helmut Marko, ils ont lancé ce projet en mars 2021 et la construction en juin 2022. Le premier moteur de Red Bull Power Train (RBPT) démarrait quatre mois plus tard. Ce n'est qu'après que Ford annonça son engagement au côté de l'équipe autrichienne.

Le bâtiment qui abrite l'usine qui fabrique les moteurs de Red Bull à Milton Keynes. (Redbull)
Le bâtiment qui abrite l'usine qui fabrique les moteurs de Red Bull à Milton Keynes. (Redbull)

On a vite compris qu'il s'agissait plus de sponsoring que de partenariat technique, la majorité du travail pour construire le moteur de 2026 venant principalement de Milton Keynes (Buckinghamshire) et très peu de Dearborn (Michigan). Car Red Bull a vu les choses en grand. Les infrastructures ont été créées pour être prêtes à fournir... quatre écuries.

Toutes les infrastructures ont été construites en cinquante-cinq jours. Pour mener à bien ce défi, les Autrichiens n'ont pas mégoté. Certains personnels ont changé onze fois de bureaux au fur et à mesure que la construction avançait. Ils sont aujourd'hui plus de cinq cents salariés. Les bans moteurs, servant à tester leurs créations ont, eux, été assemblés à Graz dans des containers, histoire de gagner du temps, et assemblés comme des Lego.

« Il paraît que nous ne serions même pas capables de couvrir 70 km. Ces rumeurs prouvent que nos adversaires ont peur de nous »

Ben Hodgkinson, le directeur technique de l'usine moteurs de Red Bull

Le coup d'oeil sera rapide sur ces salles essentielles mais il aura eu le mérite d'exister pour le pauvre visiteur français, interdit de la salle aux batteries, mieux gardée que Fort Knox, car sans doute l'un des secrets de la performance de ce moteur 2026. « Ça me fait rire de lire que nous n'y arrivons pas, s'amuse Ben Hodgkinson, le directeur technique de l'usine moteurs en montrant fièrement son premier moteur thermique complet qui trône sous verre à l'entrée du couloir central. Il paraît que nous ne serions même pas capables de couvrir 70 km. Ces rumeurs prouvent que nos adversaires ont peur de nous. »

Dehors, dans l'immense open space qui accueille les ingénieurs, le brouhaha surprend. On est loin du silence de cathédrale où le moindre murmure s'entend mieux qu'un V12. Ici on chahute, on bouge, on est bien loin du quotidien ascétique des écuries « Ici, on fait différemment, poursuit le boss, tout heureux d'entendre des rires de l'autre côté de la vitre. Et j'aime cette bonne humeur. Cela favorise la création. » Et les troupes de l'écurie viennent parfois rendre visite à leurs collègues des moteurs. Il se murmure, il est vrai, que la cantine de ce bâtiment est la meilleure des trois de l'entité Red Bull.

L'Équipe

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