Espace. Voyager 1, cette sonde increvable de la Nasa à 25 milliards de kilomètres de nous

Après avoir bouleversé nos connaissances sur Jupiter et Saturne, la sonde américaine poursuit dans les confins du système solaire une course entamée en 1977. À l’origine, sa mission ne devait durer que cinq ans.
Quand elle a quitté la Terre, Jimmy Carter venait d’arriver à la Maison Blanche et Star Wars n’était pas encore sorti sur les écrans français. Partie en 1977, la sonde Voyager 1 reconnaîtrait-elle la planète qu’elle a laissée derrière elle ? Qu’importe puisqu’elle a déjà atteint les faubourgs du système solaire, et fonce désormais vers la constellation de la Girafe. Dans une dizaine de jours, elle se trouvera à 25 milliards de kilomètres de la Terre - une distance à peine imaginable, correspondant à plus de 160 fois la distance entre le Soleil et la Terre. Depuis 2012, la sonde américaine a quitté l’Héliosphère, cette bulle de plasma qui protège le système solaire des rayonnements cosmique, et traverse désormais l’espace interstellaire.
À l’origine, sa mission ne devait pourtant durer que cinq ans : le temps d’un aller simple vers Jupiter et Saturne, à la faveur d’un alignement des planètes comme il s’en produit moins d’un par siècle. En 1979, Voyager 1 perce une partie des secrets de Jupiter. Transmis au moyen de son antenne parabolique, ses clichés révèlent avec une précision inédite les bandes nuageuses de la planète géante, ainsi que des anneaux jusqu’alors passés inaperçus.

Les lunes Io et Europe, photographiées en février 1979 par la sonde Voyager 1 devant Jupiter. Photo Nasa/JPL-Caltech
La sonde détecte aussi, pour la première fois, une activité volcanique sur un autre corps que la Terre, en l’occurrence sur Io, un de quatre satellites galiléens. En novembre 1980, Voyager 1 survole Saturne et frôle sa lune Titan, dont l’atmosphère riche en méthane intrigue les scientifiques de la Nasa.
Son flirt avec Titan catapulte la sonde en dehors du plan de l’écliptique, alors que sa jumelle poursuit son voyage vers les confins du système solaire. Lancée trois semaines plus tôt, Voyager 2 atteindra Uranus en 1986 et Neptune en 1989, découvrant au passage une vingtaine de lunes et le système d’anneaux de Neptune. À ce jour, c’est la seule sonde à s’être aventurée à proximité des deux géantes de glace. En 1990, Voyager 1 prendra aussi une dernière photo symbolique de la Terre : un point bleu pâle perdu dans l’immensité.
Dépannage à très grande distanceÀ cette cascade d’exploits scientifiques succède une suite de miracles techniques. Une fois les objectifs accomplis, alors que les deux sondes filent vers les confins du système solaire, la Nasa décide de poursuivre le programme Voyager. Pour économiser de l’énergie, certains instruments sont débranchés, à commencer par les caméras, inutiles alors que les sondes s’enfoncent dans l’obscurité. D’autres montrent des signes de dégradation. En 2017, pour corriger l’orientation de Voyager 1, des propulseurs qui n’avaient plus fonctionné depuis 1980 sont rallumés - un test qui met les nerfs des ingénieurs de la Nasa à rude épreuve : le signal met plus de 19 heures à atteindre la sonde, autant pour le retour. Fin 2023, Voyager 1 se met à raconter n’importe quoi. Les ingénieurs diagnostiquent une corruption de mémoire, qu’une mise à jour de son code informatique permet de contourner. En mai dernier, un autre propulseur à l’arrêt depuis plus de 20 ans est rallumé.
À 21 milliards de kilomètres de la Terre, Voyager 2 est soumis aux mêmes ravages du temps. En août 2023, la Nasa pense avoir perdu définitivement le contact, mais la sonde se réaligne automatiquement quelques jours plus tard.
Increvable, Voyager 1 n’est pas pour autant éternelle. La sonde dispose encore de 20 % de ses réserves d’hydrazine, carburant qu’elle utilise avec parcimonie pour se réaligner avec la Terre : de quoi tenir une bonne dizaine d’années. Mais ses moteurs sont largement obstrués par des dépôts. Côté électrique, la batterie au plutonium de la sonde a perdu plus de la moitié de ses 470 W de puissance initiaux. Il faut jongler entre alimentation des instruments et chauffage nécessaire au fonctionnement des moteurs, avec toujours la crainte que l’un ou l’autre ne redémarre pas.
Mais ironiquement, c’est l’élection d’un nouveau président américain qui pourrait avoir raison du doyen des programmes en cours. Fin juin, la Nasa a déjà fermé les comptes sur les réseaux sociaux d’une vingtaine de missions, dont Voyager. Et Voyager pourrait faire partie des programmes sacrifiés par l’agence américaine, sur l’autel des coupes budgétaires et de la guerre à la science décrétée par Donald Trump.
La fin du voyage pour la sonde ? Pas forcément. Dans quelques siècles, Voyager 1 franchira le nuage de Oort qui marque la frontière du système solaire. Et dans 40 000 ans, froide et éteinte depuis longtemps, elle arrivera à proximité de l’étoile Gliese 445, porteuse du célèbre disque doré à destination d’une hypothétique civilisation extraterrestre. On y trouve des planches anatomiques, des photographies de la Terre et de ses habitants, des enregistrements de Mozart, Chuck Berry ou des chants d’oiseaux. Sorti trop tard, Star Wars n’y figure pas. Donald Trump non plus.
Le Républicain Lorrain