Dans la métropole de Nice, à quoi sert vraiment le collège de déontologie, chargé de lutter contre les conflits d’intérêts?

DIX PETITES MINUTES. C’est la durée des échanges autour du rapport d’activité 2024 du déontologue de la Métropole Nice Côte d’Azur, que devaient viser les élus lors du dernier conseil métropolitain, en mai. Et pourtant, celui-ci a charrié son lot de questions, soulevées par l’élu d’opposition Jean-Christophe Picard. À commencer par l’intérêt que portent les élus à cette instance, pionnière localement.
Dès avril 2014, avant que la loi 3DS de 2022 ne grave dans le marbre le fait que "tout élu local peut consulter un référent déontologue", Nice s’était dotée d’un "comité d’éthique indépendant relatif à l’exercice des mandats des élus municipaux", rapidement mutualisé avec la Métropole. Il y a trois ans, l’instance a évolué en un collège de déontologie, groupe d’experts chargés de conseiller et former les élus pour leur éviter notamment tout conflit d’intérêts.
Présidé par Hervé Expert, ex-président du tribunal de grande instance de Nice, il réunit enseignants et magistrats à la retraite, chargés de veiller au respect de la probité et de rendre compte chaque année de leurs activités.
Des déclarations d’intérêts… boudées par les élusFin mars 2024, une campagne de "déclaration d’intérêts complémentaire" a été lancée auprès des élus, municipaux et métropolitains. Dans la veine de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), fondée en 2013 dans la foulée de l’affaire Cahuzac, elle invite hommes et femmes politiques à indiquer leur activité professionnelle, fonction dans des organismes dirigeants, participation financière à des entreprises… Le tout pour éviter les collusions lors de prises de décisions publiques. "Sur les 89 élus non soumis à déclaration de la HATVP, seuls 12 ont répondu. Décevant", note Jean-Christophe Picard. Constat partagé par Marc Concas, élu de la majorité en charge de présenter le rapport: "Le déontologue n’est pas là pour vous empêcher de faire votre travail [mais] pour sécuriser la collectivité. Si on vous demande de lui adresser [ces déclarations], c’est pour vous protéger. Parce que toutes les infractions liées à l’éthique sont dites formelles: le seul élément matériel de l’infraction constituée suffit à la qualifier sans même qu’il n’y ait d’intention coupable de la part de l’auteur", a rappelé ce dernier, avocat de formation. Anonymement, un membre du collège de déontologie local éclaire: "Les élus d’extrême droite s’y refusent, certains la font parce qu’ils ont envie d’être honnêtes, d’autres n’ont pas le temps."
Mais en termes de probité, l’enfer se niche dans les détails, y compris pour les édiles de petites communes, rappelle-t-il. "Imaginez: il y a une association de chasseurs dans un village. Le maire en fait partie. La commune vote une subvention à cette structure. Si l’édile ne se déporte pas lors du vote, même s’il n’a pas voulu s’enrichir, qu’il n’y a pas volonté de fraude, la cour de cassation le condamnera."
Le séminaire tourne au bidePreuve en est que le sujet ne passionne pas dans l’hémicycle métropolitain: un séminaire mobilisant des intervenants parisiens, organisé à Nice en décembre a tourné… au fiasco. " Un désastre, s’indigne un membre du collège. On a fait se déplacer des gens de la HATVP et de l’Agence française ainti-corruption. Pour les élus, c’était intéressant. Mais une fois que Christian Estrosi a ouvert la journée, une grande partie des élus de la majorité sont partis… Je crois surtout qu’ils ont tant à faire qu’ils trouvent cela embêtant." "Nous étions dix-huit au début, cinq à la fin, pour un sujet pourtant essentiel, déplore Jean-Christophe Picard. C’est un peu paradoxal, vu l’ambiance. En 2024, il y a eu , 22 . Il faudrait peut-être un peu se préoccuper du sujet", ajoute l’élu pour qui "tout cela ne sert à rien et n’empêche visiblement rien".
"Vous ai-je déclaré l’A380 dont on m’a fait cadeau?"Questionnant aussi, ce point chiffré sur les cadeaux reçus par les élus. "La règle, c’est le refus de tout cadeau", a rappelé Marc Concas, précisant que, quand celui-ci est jugé "protocolaire", il doit être remis à la collectivité, qui le consigne. En 2024, seuls deux présents ont été recensés. "Rien qu’à Nice, il y a 32 jumelages, avec des délégations qui se rencontrent. Je ne peux pas croire qu’il n’y en ait eu si peu", interroge Jean-Christophe Picard.
Constat balayé d’une blague par Christian Estrosi, président de la Métropole, en séance: "Je ne me souviens plus… Vous ai-je déclaré l’A380 dont on m’a fait cadeau?", a-t-il ironisé. L’ambiance sera-t-elle la même ce vendredi? Les élus métropolitains, se réunissent à nouveau pour un conseil.
Nice Matin